Quelles missions pour l’Europe?

Colloque de Pax Christi, Centre de Sèvres, samedi 23 mars 2019

Ce compte-rendu du colloque organisé par l’association Pax Christi sous le titre « Quelles missions pour l’Europe ? » rapporte les analyses d’importants experts et acteurs de l’Union Européenne. Ceux-ci identifient notamment un certain nombre de défis qui se posent actuellement à l’UE, comme la campagne de propagande menée par la Russie, la montée de partis populistes et nationalistes au sein même des Etats membres et bien sûr le Brexit, dont l’issue reste encore en suspens. Il ne faut pas non plus exclure des facteurs explicatifs de la défiance envers l’Union Européenne ses propres errements, qu’il s’agisse de l’intégration toujours inaboutie des pays de l’Est, de sa politique économique trop peu régulatrice et des disparités des politiques sociales de ses Etats-membres. L’exemple calamiteux du Royaume-Uni nous montre cependant que l’Union Européenne continue de représenter l’avenir du continent européen, dans un contexte géostratégique international toujours plus incertain et menaçant. De nombreuses réformes restent à faire pour que nous puissions profiter pleinement du potentiel de l’UE, notamment en ce qui concerne la politique écologique.

  • L’Europe, un projet pour le monde – Sébastien Maillard, Institut Jacques Delors

L’intervention de Sébastien Maillard a principalement consisté en un éclairage des différents revirements européens, concernant à la fois l’usage de ses outils institutionnels et son système d’alliance. À la base, l’article 7 relatif à la possibilité de l’UE de sanctionner un Etat membre qui ne respecterait pas les valeurs fondatrices, et l’article 50 portant sur le droit de sortie de l’UE, n’étaient pas perçus comme des instruments législatifs susceptibles d’être utilisés. Le cas de la Pologne et du Royaume-Uni ont remis en question cette doxa des administrateurs européens. Toutefois, alors que nombre de politiques, à l’image de Marine Le Pen, se sont empressés de voir dans le Brexit le début d’un long « détricotage » de l’UE, dont la France ferait partie à termes avec le « Frexit », il semblerait que l’heure soit davantage a des prises de conscience sur la nécessité de rester dans l’UE. Le Brexit donne lieu à des réflexions économiques et financières. Concernant la Chine le ton change, on réfléchit à de nouvelles formes de partenariat destinées à protéger l’Europe des investissements concurrentiels agressifs.

Parallèlement les alliances tendent vers un coup d’arrêt. Le système transatlantique qui s’était développé sous l’égide de l’OTAN et de la bienveillance américaine est devenu un espace de méfiance envers l’UE. Alors que l’Europe était le modèle positif à suivre de base, cette dernière est de moins en moins aimée de ses alliés. Ennemis ou adversaires? La question se pose. Concernant le dossier Russe par exemple, l’Union européenne a probablement commis l’erreur d’avancer sans précaution, sous estimant l’hostilité que certaines actions pourraient provoquer, en allant aux portes de la Russie. Conséquence: un jeu trouble Vladimir Poutine qui préfère avoir en face de lui les chefs d’Etat européens séparés que de dialoguer avec le bloc européen unifié.

Enfin, la piste de l’approfondissement de l’identité sociale de l’Europe est évoquée, tant comme un défi interne que comme un moyen de se placer sur l’échiquier international. L’Europe sociale se chiffre à hauteur de plus de de 50% des investissements mondiaux, une donnée trop peu valorisée.

  • Une Europe démocratique est t-elle possible? – Joseph Jamar, Commission européenne

Tout comme Sébastien Maillard, Joseph Jamar rappelle qu’il s’agit de la première fois où nous sommes en présence de personnes/partis hostiles à l’intérieur et à l’extérieur de l’UE, opposés au projet européen actuel. Ce qui domine, c’est ce retour « magistral » du géopolitique et du facteur géopolitique. On pensait naïvement qu’après la chute du communisme en 1989-1990 notre modèle serait victorieux ad vitam. Pourtant, aujourd’hui, nous nous trouvons devant des pays défiants à l’est et à l’ouest, tandis que sur le plan économique le mot protection a été remplacé par le mot austérité

Joseph Jamar dans ce contexte fait le pari de l’audace : « Il faut mettre sur la table après une crise une grande idée ». La clé de cette relance c’est de repenser en premier lieu la viabilité de l’économie en Europe. On ne peut pas avoir une union économique et monétaire avec des politique, notamment fiscales, incohérentes. En second lieu, il faut repenser le projet de sécurité défense: ne pas se trahir face à la tyrannie de l’immédiat de Donald Trump qui a changé la manière de faire diplomatie. Pour affronter ces enjeux il est nécessaire que l’UE fonctionne dans une harmonieuse autonomie: création d’un espace public européen où les gens peuvent travailler, réfléchir et penser cette Europe qui affecte 500 millions de personnes; 

  • Les populismes : une menace pour l’Europe? – Birte Wassenberg, Université de Strasbourg

Les partis populismes selon Brita Wassenberg « sont une des formes possibles de nationalisme ». Il est impératif dans le corpus de définition de ne pas omettre que le populisme n’est pas nécessairement lié à des mouvances d’extrême droite. À gauche, cet anti-européanisme est tout aussi virulent. Cette forme de nationalisme consiste dans le détail en une re-concentration de la nation, renforcée par une remise en cause de tout ce qui se rapporte à une politique dite « mainstream ».

Il est difficile d’établir une constellation rigoureuse des partis populistes en Europe. Il n’existe pas de prisme de lecture qui permettre une véritable classification. Les raisons de la constitution de ces partis sont variées et poursuivent des objectifs tout aussi éclectiques. Pourquoi vote t-on pour un parti populiste? Désorientation culturelle? Question identitaire? Angoisse économique? Le populisme français, porté historiquement par la famille Le Pen depuis 1984 n’est pas celui au Pays-Bas incarné par Geert Wilders qui est bien plus récent et spontané. Pour le premier l’hostilité est liée à des questions de souverainetés économiques et identitaires, pour le second il s’agit davantage d’une contestation de l’élargissement de l’Europe à l’est en 2004 et de la sensation de déprise depuis la crise économique de 2008, point comme partagé avec le populisme des pays sud européens. À l’est justement, le parti Droit et Justice en Pologne porte le message d’une région dont l’intégration a été bâclée, où les repères politiques européens peinent à s’ancrer.

D’un point de vue plus global, l’Europe a connu trois phases aggravantes de ce phénomènes. Trois épisodes de nature différente qui ont ébranlé la confiance placée dans les structures traditionnelles: la crise économique de 2008 comme nous l’avons mentionné en amont, l’intensification de l’insécurité liée au terrorisme en 2015, et la crise migratoire qui en découlé à partir de cette même année. À la lumière de ces faits, les prévisions des européennes de 2019 annoncent une baisse significative des partis traditionnels européens.

  • « Une nouvelle donne économique est-elle possible? » – Gael Giraud, Agence française de développement

Le projet de la zone euro porté en 1990 ne tend pas vers la zone monétaire optimale espérée. Pour Gael Giraud, les pays du nord n’ont par exemple pas le même ADN, en raison des excédents commerciaux, du faible taux d’inflation et de chômage. En rupture, la zone euro du sud cumule de la dette et un déficit de la balance commerciale. Facteur aggravant, la commission européenne qui tend à faire bien trop confiance au marché financier dérégulé, provoquant un problème fondamentalement structurel: l’économie européenne est coincée sur la pente déflationniste en raison d’un endettement privé, tandis que rien n’est mis en place pour résorber cet excès d’endettement. Dans ce contexte de déflation larvée, la politique d’austérité est jugée comme contraire à la solution. À cela s’ajoute le problème du développement d’un projet économique européen unifié autour d’un même objectif. La solution à ces constats, selon Gael Giraud, se pose en trois temps: que peut-on faire immédiatement , que peut-on viser à moyen et à long terme?

À court terme, il existe beaucoup de marge de manoeuvre mais nous ne profitons pas des moyens européens. À titre d’exemple, le financement de la transition énergétique vers une société décarbonée. « Nous avons les ingénieurs, l’argent et la population éduquée » rappelle Gael Giraud. La protection publique pourrait être l’Etat qui se porte garant d’un certain nombre d’investissements.  Si tout va bien rien ne grive la dette publique, et si ça ne va pas l’Etat fait office de filet de sécurité. Deuxième point, reconnaître que les traités eux même sont susceptibles d’une interprétation. Il est important de sortir de l’interprétation stricte des traités, et de débattre enfin ce point majeur.  Le cas des 3% est emblématique. Il semblerait que tout le monde ait oublié que les traités européens autorisent la discussion de l’assiette sur laquelle on calcule le déficit. La veille de l’acte IV des gilets jaunes, Pierre Moscovici a pris la parole en disant que nous pourrions interpréter la règle des 3% . Troisième point enfin, les astuces de tuyauterie financière comme la mise en oeuvre du pouvoir monétaire des banques. En 2014, la BCE a déclaré qu’elle était prête a racheter les créances financières d’ABS. La créance peut devenir un actif financier négociable sur les marchés, limitant le  risque de remboursement. Toutefois, cette dernière a été rappelée à l’ordre sur le principe que le vert était une préoccupation sectorielle, et donc contraire au principe de la concurrence pure et parfaite. Petite espoir, les crises économiques et environnementales qui permettront peut-être de déverrouiller la réflexion et surtout l’action. Pour éviter le green washing par exemple, préoccupation première des experts européens, l’on pourrait imaginer que la BEI labelise les projets, et que, par la suite, la BCE porte le risque en les rachetant à la BEI.

À moyen terme, il s’agirait de reconsidérer le lead écrasant de certaines institutions au détriment de la représentativité citoyenne en Europe. La Commission européenne se compose d’ experts fonctionnaires qui ne sont pas des représentants d’un projet politique. La commission a eu pendant longtemps le monopole l’initiative législative. Le Parlement en ce sens devrait être le seul à posséder ce pouvoir. Ses moyens à l’heure actuelle sont faibles par rapport à la Commission européenne. L’expertise technique de la Commission est bien plus forte. On constate un début d’évolution depuis peu, surtout depuis que le Parlement ose élever la voix et faire appel à ses propres études indépendantes. Deuxième point, le conseil de l’Europe est à huis clos alors que ce qui s’y décide touche tous les citoyens européens. Il est nécessaire de s’en remettre à l’intérêt européen et responsabiliser les politiques sur place. Le cas de la défense est naturellement une exception et elle doit le rester. Troisième point, l’indépendance de la BCE doit être remise en cause. L’héritage est ici historique et lié à la méfiance des alliés concernant l’effort de guerre allemand. Aujourd’hui il n’existe aucune raison justifiant de pérenniser cet ordre imposé, surtout à l’heure où la BCE prend des décisions réprouvées par les citoyens européens. L’objectif est donc de réintégrer la BCE dans un corps politique avec une mission: promouvoir la croissance au lieu de tuer l’inflation.

Pour finir, sur le long terme, la zone euro doit être un lieu où on expérimente l’économie sociale de marché. Les évêques en 2012 ont mis en lumière la piste du fédéralisme européen, dont il faut réfléchir les conditions. Il est vrai que les 10 dernières années ont rendu plus difficile l’existence d’un corps politique fédéral européen au regard, par exemple, des relations greco-germaniques, pourtant des certitudes partagées peuvent porter ce projet: la nécessité de rejeter le principe de concurrence pure et parfaite comme ultime critère de décision, définanciariser davantage l’Europe, édifier un projet de planète viable qui ne se fera pas sur le dos des plus démunis, redonner une âme à la haute fonction publique qui rêve de solutions techniques à des problèmes politiques et spirituels.

  • « Comment construire la paix en Europe à l’âge post-moderne? » – Antoine Arjakovski, Collège des Bernardins

« Le principe de la « guerre hybride » est ce qui se rapproche le  plus proche de ce que nous vivons actuellement », déclare Antoine Arjakovski. Cette lutte, ce sont des acteurs conventionnels ou non conventionnels, utilisant la propagande, les pressions commerciales ou encore la cyber attaque pour paralyser les actions de l’ennemi, tout en le terrorisant via des réseaux criminels.  En somme, nous vivons une guerre masquée, où tout est mis en oeuvre pour ne pas prendre conscience du conflit et des acteurs du conflit. On peut trouver des racines de la guerre hybride par le biais historique de la guerre des totalitarismes par exemple.

En 2014, le monde apprend de façon très immédiate par le biais Russe que des petits hommes verts apparaissent dans la presqu’île de Crimée : ces hommes verts, ce sont des ukrainiens qui sont en désaccord sur la Crimée. Le 20 février 2015, Vladimir Poutine déclare que ses soldats russes sont envoyés dans la presqu’île de Crimée pour rétablir l’ordre. Avec cet exemple, il est aisé de saisir les enjeux de la propagande, qui ici fait croire à un conflit interne afin de rendre possible l’annexion de la Crimée; une annexion sans un seul coup de feu. Cette puissance de propagande prend tout son sens quand on s’intéresse au cas de RT, dont l’investissement en France représente  30 millions d’euros par an sur les 700 millions consacrés à la propagande Russe. Preuve à l’appui de cette efficacité: les gilets jaunes font de RT leur média préféré. Au mois de novembre 2018, un million de visiteurs uniques contre trois millions un mois plus tard. En Janvier, le record atteint 30 millions de vues.

Le danger principale, l’enjeu de la paix post-moderne, c’est la lutte contre le phénomène de relativisme: « rien n’est vrai donc tout est possible ». L’exemple le plus tragique est le cas du MH17 abattu. Plus de 30 versions sur l’origine de cet acte de guerre se sont succédées, de telle façon à ce que les gens n’y croient plus. Deux ans plus tard, alors qu’il est clairement établi qu’il s’agissent bien de matériel russe, plus personne n’est là pour assimiler cette information. La post modernité est caractérisée par ce sentiment d’incertitude.

Dans le projet de pacification et de lutte contre les dérives de ces nouvelles menaces, le civil doit prendre la parole dans le rapport de force. Une déconnexion entre l’influence politique et l’influence économique doit être actée. « Il n’est pas normal que l’on puisse signer des contrats commerciaux au mois de juin dernier à Saint Petersbourg, tout en dénonçant l’affaire de la Crimée », souligne Antoine Arjakovski. Parallèlement, il faut intéresser les médias à la paix et arrêter le fanatisme de la violence, protéger les lanceurs d’alerte, interdire le « hate speech ». Des questions de maîtrise de l’information en Europe doivent se poser, surtout quand on sait qu’Euronews est détenue par les égyptiens, un exemple parmi d’autres. D’un point de vue institutionnel, un effort financier doit être réalisé en direction de structures dédiées aux questions de justice et de réconciliation. Quand on sait qu’un sous-marin nucléaire coute autour d’un milliard d’euro et qu’une commission est chiffrée à moins de 500 000 euros, il est difficilement excusable de laisser ces préoccupations sans suite.

Compte-rendu fait par Julie Céleste Meunier

Résumé par Emilien Houard-Vial, membre du Bureau d’IDN

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