Sommes-nous « entre-deux-guerres »?

S’apprêtant à commémorer le centenaire de l’armistice de 1918, le Président de la République vient de faire une déclaration dans Ouest France qui m’a choqué. Parler, comme il l’a fait, de ressemblance entre les évènements que traverse actuellement le monde et ceux de « l’entre- deux guerres » néglige en effet les considérables évolutions qu’ont connues la planète et l’humanité depuis cette époque.  (…). Il est hasardeux (…) de suggérer, en s’appuyant sur l’adage selon lequel « les mêmes causes engendrent les mêmes effets », que l’Europe pourrait connaître prochainement une guerre, qui serait certainement mondiale. (…)

Une version plus courte de ce texte a été publiée

dans Ouest France, sous le titre

Comparaison n’est pas raison

 

Certes, la nature humaine, notamment celle de nombreux chefs d’Etat, n’a pas vraiment changé. Trop souvent, hier comme aujourd’hui, des despotes, obnubilés par leur pouvoir, n’hésitent pas à recourir à la violence et à la force, au détriment des principes démocratiques et des droits humains, tant à l’intérieur de leur territoire qu’à l’extérieur. Trop souvent, hier comme aujourd’hui et malgré les progrès du multilatéralisme (et bien que l’ONU soit plus performante que la SDN), les crises et les conflits liées aux égoïsmes nationaux se règlent par la force, entraînant destructions et victimes civiles.

      Et pourtant, où que l’on porte le regard, on constate que notre monde est bien différent de celui des années 1930. De nouvelles puissances ont émergé, la décolonisation a modifié la structure de plusieurs continents, la prédominance américaine est contestée, les relations économiques internationales se sont considérablement intensifiées, le progrès technique a modifié nombre de comportements, les mouvements extrémistes n’ont pas la virulence des mouvements fascistes et nazis.

     Il est donc hasardeux d’affirmer que « le moment que nous vivons ressemble à l’entre-deux guerres » et de suggérer ainsi, en s’appuyant sur l’adage selon lequel « les mêmes causes engendrent les mêmes effets », que l’Europe pourrait connaître prochainement une guerre, qui serait certainement mondiale.

      Est-il utile de rendre ainsi le climat plus anxiogène, alors que l’on s’inquiète par ailleurs que l’Europe soit « divisée par les peurs » ? Ne serait-il pas plus efficace de s’interroger sur les mesures concrètes susceptibles d’éviter les engrenages qui conduisent à la guerre ? Il faudrait se souvenir des grands échecs du siècle dernier et en tirer les leçons : l’incapacité à empêcher le déclenchement de la Première guerre mondiale, les conséquences du traité de Versailles (1919) dans la montée du nazisme, les tragiques retombées du traité de Lausanne (1923) sur le Moyen Orient depuis un siècle, l’erreur d’appréciation des Occidentaux dans les rapports avec la Russie après la dislocation de l’URSS.

     Imaginer que nous serions « entre- deux guerres » amène obligatoirement à se demander comment se protéger si la Troisième guerre mondiale se déclenchait. Dans la période qui a précédé la Seconde guerre mondiale, la ligne Maginot (construite entre 1928 et 1940) devait assurer une défense inviolable du territoire français. On sait ce qu’il en est advenu !

La nouvelle ligne Maginot

      Depuis près de 50 ans, c’est l’armement nucléaire français, au service de ce qu’on appelle la « dissuasion » qui est censé apporter une garantie ultime de sécurité à la France. Or, il est facile de constater que ces armes et le concept qui leur est associé sont inutiles et même lourds de risques pour l’avenir1. Alors que nous avons vécu de nombreuses révolutions techniques, que les nouvelles armes et leurs capacités d’action sont sans commune mesure avec celles du siècle précédent, l’arme atomique est inadaptée à la gestion des crises du monde de l’après-Guerre froide.

      De plus, nous sommes entrés dans une nouvelle ère où la menace cyber, inconnue il y a une dizaine d’années, vient subitement poser de nombreuses interrogations sur la crédibilité des forces de dissuasion nucléaire. Avec ce risque, l’assimilation de la dissuasion à la fameuse ligne Maginot n’est pas une simple vue de l’esprit ; elle correspond de plus en plus à la réalité.

     Il est désolant de constater que les Etats nucléaires continuent à perfectionner leurs arsenaux et qu’ils mettent le monde à la merci d’une erreur d’appréciation ou d’une escalade incontrôlée.

      Puisque le Président de la République souhaite que l’Europe se ressaisisse et qu’elle « résiste », je lui recommande de faire étudier ces mesures simples que pourrait prendre la France et qui contribueraient à un renforcement de la stabilité et de la sécurité internationale en agissant pour réduire les risques d’un conflit nucléaire :

  • Engager un processus de médiation entre États-Unis et Russie pour maintenir le traité FNI et obtenir le retrait des armes nucléaires tactiques (ANT) américaines déployées en Europe, en échange du retrait total des ANT de la Russie de son territoire européen.
  • Abaisser le niveau d’alerte des forces nucléaires.
  • Adopter une attitude constructive2 à l’égard du Traité d’interdiction des armes nucléaires (TIAN), adopté à l’ONU par 2/3 de ses membres.

      C’est par de tels gestes que la France pourrait offrir une perspective nouvelle de paix, qui représenterait un espoir dans le désordre actuel du monde.

Paul Quilès, président d’IDN.

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