Une occasion de sortir de « l’ancien monde »

France absenteTribune de Paul Quilès,

ancien ministre de la défense, président d’IDN ,

 

publiée sur le blog d’Edouard Pflimlin, journaliste au Monde

 

Depuis le 27 octobre 2016, une majorité de pays a engagé à l’ONU un processus devant conduire à la mise au point d’un « instrument juridiquement contraignant visant à interdire les armes nucléaires en vue de leur élimination complète ».

Cette décision historique a été validée par un vote positif de l’Assemblée Générale le 23 décembre 2016, malgré l’opposition de 35 pays, dont la France, les États-Unis, la Russie, la Grande Bretagne et presque tous les pays de l’OTAN. 13 pays se sont abstenus, dont la Chine, l’Inde, le Pakistan, la Finlande, les Pays-Bas, la Suisse.

La première session de rédaction du traité s’est déroulée dès le mois de de mars dernier et a permis la rédaction d’un projet, qui sera affiné lors de la seconde session, actuellement en cours au siège de l’ONU. Le texte définitif devrait être approuvé le 7 juillet et soumis au vote de l’Assemblée Générale au début de l’automne.

Cette mobilisation étatique, à laquelle se sont jointes de nombreuses ONG, devrait permettre de relancer sur de nouvelles bases la question de la légitimité de cette terrifiante arme de destruction massive qu’est l’arme nucléaire.

Certes, il ne suffira pas de proclamer dans le texte d’un traité international qu’il est interdit de « développer, produire, fabriquer, acquérir, posséder et stocker » de telles armes. Il faudra aussi que soient définies, pour l’application du traité, des modalités détaillées de désarmement, de destruction effective des armes, de contrôle, de sanctions. Ceci suppose qu’un climat de dialogue et de confiance s’instaure.

A ceux qui considèreraient qu’un tel objectif est empreint de naïveté, je conseille de faire un retour sur l’histoire des 50 dernières années. Combien de traités ont été élaborés pour éliminer des armes de destruction massive –biologiques, chimiques-, les mines anti-personnel, les sous-munitions, pour interdire les essais nucléaires[1] et même pour réduire les stocks d’armement nucléaires (passés de 70 000 à la fin des années 90 à environ 15 500 aujourd’hui) !

L’attitude méprisante des autorités françaises à l’égard de ce processus est bien dans la ligne de l’hypocrisie des membres du « club des puissances nucléaires » auquel elle appartient. Ceux-ci refusent de s’associer à la démarche en cours en pratiquant la politique de la chaise vide, au prétexte que ce traité mettrait « en péril le bon fonctionnement du TNP ». Mais, précisément, ce sont eux qui ne respectent pas le TNP, notamment son article VI, qui précise que les signataires s’engagent à adopter « des mesures efficaces relatives à la cessation de la course aux armements nucléaires à une date rapprochée et au désarmement nucléaire » ainsi qu’ « un traité de désarmement général et complet sous un contrôle international strict et efficace ».

Comme le faisait récemment remarquer Marc Finaud[2], « se retrancher derrière un prétendu impératif de sécurité pour préserver les arsenaux nucléaires aura pour seul résultat d’encourager les pays tels que la Corée du Nord à développer leurs propres capacités. Quelle différence entre l’affirmation de François Hollande à Istres selon laquelle ‘’la dissuasion nucléaire vise à protéger notre pays de toute agression d’origine étatique contre ses intérêts vitaux, d’où qu’elle vienne, et quelle qu’en soit la forme’’ et les propos du ministre nord-coréen des Affaires étrangères à l’ONU : ‘’Notre décision de renforcer notre armement nucléaire est une mesure justifiée d’auto-défense pour nous protéger des menaces nucléaires constantes des États-Unis’’ » ?

Cette attitude conduit la France à investir lourdement dans la modernisation de son outil de dissuasion, ce que confirme un récent rapport sénatorial, qui annonce « un quasi doublement du budget de la dissuasion à l’horizon 2025 ». C’est une aubaine pour le complexe militaro-industriel, que dénonçait déjà le Président américain Eisenhower[3] en 1961, mais cela ne constitue en rien une réponse aux menaces du monde actuel, qui ne sauraient être dissuadées par l’arme nucléaire : terrorisme, cyber-attaques, criminalité organisée, changement climatique…

La démarche engagée avec la rédaction de ce traité d’interdiction peut aussi présenter un autre intérêt, celui de réveiller les partis politiques, les parlementaires et les médias, qui ont manifesté jusqu’ici un fort désintérêt à l’égard de l’armement nucléaire.

Quant aux décideurs politiques, notamment le Président de la République, détenteur du « pouvoir nucléaire » depuis 1964, ils seraient bien avisés de se libérer de l’influence, discrète mais efficace, des conseillers qui empêchent toute réflexion et tout débat sur le concept même de dissuasion. Pour Emmanuel Macron, qui dit vouloir rompre avec l’ancien monde et qui souhaite incarner un visage nouveau de la France, ce peut être l’occasion de montrer qu’il n’est pas attaché aux concepts éculés d’un monde ancien  – celui de la Guerre froide – qui continuent à alimenter la doctrine officielle.

[1] Même si la non-ratification du traité par plusieurs Etats, dont les Etats-Unis, retarde la mise en oeuvre définitive du traité.

[2] Ancien diplomate français, professeur associé au Centre de Politique de Sécurité, Genève, membre du Comité de parrainage d’IDN

[3] « Nous devons veiller à empêcher le complexe militaro-industriel d’acquérir une influence injustifiée dans les structures gouvernementales (…). Nous nous trouvons devant un risque réel, qui se maintiendra à l’avenir : qu’une concentration désastreuse de pouvoir en des mains dangereuses aille en s’affermissant. Nous devons veiller à ne jamais laisser le poids de cette association de pouvoirs mettre en danger nos libertés ou nos procédures démocratiques. » Dwight Eisenhower, Discours de fin de mandat (17/01/1961), connu sous le nom du Discours du Complexe Militaro-Industriel

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