Pas d’exception aux principes démocratiques pour l’armement nucléaire

Tribune publiée par le Huffington Post

et signée par:

Paul Quilès, ancien ministre de la défense, Président d’IDN (Initiatives pour le Désarmement Nucléaire) ; Bernard Norlain, général d’armée aérienne, vice-Président d’IDN ; Jean-Marie Collin, expert, vice-Président d’IDN ; Michel Drain, conseil auprès de la Conférence des évêques de France, membre du bureau d’IDN;

et les membres du Comité de parrainage d’IDN : Gilles Candar, Président de la Société d’études jaurésiennes ; Jean-Pierre Dupuy, philosophe ; Marc Finaud, ancien diplomate ; Georges Le Guelte, ancien secrétaire du Conseil des Gouverneurs de l’AIEA ; Cédric Villani, mathématicien.

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      Les pays occidentaux se plaisent à afficher leurs valeurs démocratiques. L’OTAN, par exemple, se considère, selon la déclaration publiée le 9 juillet 2016 à l’issue du sommet de Varsovie, comme « une communauté sans pareille de liberté, de paix, de sécurité et de valeurs partagées, dont la liberté individuelle, les droits de l’homme, la démocratie et l’État de droit ». À en croire les gouvernements des puissances occidentales, les grands choix de société seraient chez eux toujours soumis au corps électoral.

Il est cependant au moins un domaine où ces principes ne s’appliquent pas, c’est celui de l’armement nucléaire, que les gouvernements français comme britannique s’efforcent systématiquement de soustraire au débat, notamment au sein du Parlement.

L’absence de débat

La discussion organisée par la Chambre des communes le 18 juillet 2016 sur le remplacement des sous-marins de la force nucléaire britannique a offert un exemple caricatural de cette absence de véritable débat démocratique. L’enjeu était pour la nouvelle Première ministre de faire apparaître les divisions au sein du parti Travailliste et d’affirmer son autorité après l’échec de son prédécesseur. Sur le fond, le gouvernement britannique n’a donné aucune information sur les coûts des nouveaux systèmes (y compris la probable fabrication de nouvelles têtes), sur leur finalité stratégique, ni sur leur intégration dans la politique de désarmement et de lutte contre la prolifération. Tout au plus a-t-on eu confirmation des évaluations de 2015 : 31 milliards de livres auxquels s’ajoute une provision de 10 milliards pour le développement et la construction des nouveaux sous-marins (soit 49 milliards d’euros au total). En conséquence les débats de la Chambre des communes se sont réduits à une succession d’interventions générales pour ou contre l’arme nucléaire. Ils se sont achevés par un blanc-seing donné au gouvernement.

La situation de la France est encore plus regrettable. Un renouvellement des sous-marins nucléaires lanceurs d’engins de la Force océanique stratégique et une « modernisation » de leurs missiles ont été annoncés. Le gouvernement a de même fait état du lancement des travaux en vue du remplacement des missiles de la Force aérienne stratégique. La France semble ainsi se rallier à la logique de la course aux armements nucléaires que pratiquent déjà les États-Unis, la Russie et la Chine.

Ces programmes auront un coût financier considérable : si les projets actuels étaient confirmés, la dépense annuelle pour les forces nucléaires au lendemain des prochaines élections nationales devrait être de l’ordre de 6 milliards d’euros ; soit le double du niveau constaté en 2016 et ce, pendant au moins 20 années ! Les conséquences militaires, stratégiques et politiques seraient également lourdes : le budget des forces classiques s’en trouverait encore plus contraint, renforçant ainsi les difficultés et la sécurité quotidienne de nos soldats ; la France, en s’engageant encore dans une politique de « prolifération verticale » porterait à son tour atteinte aux équilibres du Traité de non-prolifération.

Créer une commission indépendante

Devant cette évolution d’importance capitale, la nécessité d’un véritable débat public et contradictoire s’impose. Le gouvernement devrait décider de créer une commission composée d’experts indépendants, libres de tout lien avec les industriels ou la hiérarchie militaire, à l’image de la commission constituée au Royaume-Uni pour faire le bilan de l’engagement de ce pays en Irak de 2001 à 2009 (Commission Chilcot). Cette commission présenterait un rapport au Parlement sur la politique d’armement nucléaire, sur la stratégie de dissuasion, sa nécessité, sa pertinence, son coût, sa compatibilité avec les actions de désarmement de l’ONU. Ce rapport ferait l’objet d’un débat en séance publique de l’Assemblée nationale (le dernier débat sur l’arme nucléaire dans l’hémicycle date de 1995 !) et du Sénat. Il y aurait là pour le Parlement l’occasion de retrouver un rôle central d’objectivité et de démocratie dans l’élaboration des politiques militaires, alors que jusqu’à présent tout porte à croire que les procédures de débats mises en œuvre assurent par avance le bien fondé des armes nucléaires[1].

La question de l’armement nucléaire est essentielle, si l’on pense aux conséquences humanitaires catastrophiques auxquelles pourrait conduire l’emploi d’une seule de ces armes. L’arme nucléaire a été qualifiée d’assurance-vie, mais elle peut aussi à bon droit être considérée comme un risque mortel. Toutes les décisions concernant la stratégie nucléaire et les systèmes d’armes qui la mettent en œuvre doivent donc être prises dans la clarté, selon des procédures démocratiquement légitimes et en pleine connaissance de leurs conséquences de toute nature. L’armement nucléaire doit cesser de bénéficier d’un régime d’exception. Il doit être replacé sous le régime du droit commun démocratique.

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[1] –  Il semble qu’il en soit ainsi notamment de la mission d’information sur « les enjeux technologiques et industriels du renouvellement des deux composantes de la dissuasion nucléaire » récemment créée par la Commission de la défense de l’Assemblée nationale.

 

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