La diplomatie de l’autruche    

Réponse au communiqué du Quai d’Orsay

           Le traité d’interdiction des armes nucléaires, adopté par l’Assemblée générale des Nations Unies le 7 Juillet 2017, représente une avancée considérable pour la société internationale.

           Il va permettre d’organiser une pression sur les pays détenteurs de l’arme nucléaire pour qu’ils s’engagent dans un réel processus de désarmement multilatéral et progressif.

          Son adoption met dans l’embarras les puissances détentrices de l’arme nucléaire et fragilise leur position.

                La preuve en est dans la faiblesse de la déclaration du gouvernement français, réduite à quelques affirmations contraires aux faits et à des raisonnements fallacieux. Cette politique est celle de l’autruche : nier la réalité qui lui déplait.

          Autruche

Voici nos réponses au communiqué publié par le ministère des affaires étrangères

immédiatement après l’adoption du Traité par l’ONU.

  • Le communiqué affirme « qu’un grand nombre d’États, dotés, possesseurs ou non d’armes nucléaires, (ont décidé) de ne pas participer aux négociations, en Europe et en Asie ».

122 Etats ont approuvé ce Traité, soit 63 % des 193 États représentés à l’ONU.  Ce résultat est remarquable, compte tenu des fortes pressions exercées par les États-Unis, le Royaume-Uni et la France sur leurs alliés, notamment africains.  

  • Le communiqué affirme que « la France n’a pas participé aux négociations de ce traité et elle n’entend pas y adhérer. Ce traité ne nous lie pas et ne crée pas de nouvelles obligations. »

La France devrait sentir l’obligation qui relève à la fois du réalisme et de la morale, celle d’entendre la voix des peuples qui ne veulent plus de la domination du monde par quelques grands États, essentiellement occidentaux. Refuser de participer à une négociation voulue par une large majorité d’États relève du comportement de l’autruche, la tête enfoncée dans le sable. La France ne veut pas voir que le monde a changé. Peut-être le gouvernement français considère-t-il que seuls sont à prendre en considération les États les plus riches « qui ont réussi » et que les autres ne sont rien. Le mépris colonial relève d’un monde ancien.  On aurait aimé que la France respecte l’ONU, clef de voûte de l’architecture internationale de sécurité, et use de son influence afin d’œuvrer pour la paix. Cela aurait été plus conforme au message universaliste qu’elle a l’ambition de promouvoir.

  • Le communiqué affirme que « La dissuasion vise à protéger notre pays de toute agression d’origine étatique contre ses intérêts vitaux, d’où qu’elle vienne, et quelle qu’en soit la forme ».

Les milieux politico-militaro-industriels qui nous gouvernent psalmodient sans cesse cette phrase comme pour « éloigner le mauvais œil », mais sans apporter la moindre justification rationnelle. Il n’existe pas de système de sécurité infaillible, comme on l’a vu dans l’histoire de notre pays. Ce ne sont plus principalement des affrontements interétatiques qui risquent aujourd’hui de porter atteinte aux intérêts vitaux d’un pays, mais des actions non militaires comme le terrorisme ou les cyberattaques, contre lesquelles l’arme nucléaire est inopérante. Hors du territoire national, l’armée intervient dans des guerres de guérilla où il faut parfois affronter un chaos fait de déplacement de population, d’écroulement économique, social et sanitaire, de famines et de lutte idéologique. Face à cette situation d’une partie de la planète, la menace de l’arme nucléaire est un hochet qui serait dérisoire s’il n’était pas aussi onéreux et aussi dangereux. Quant à la menace bien réelle de prolifération, qui pourrait croire qu’on la combattra efficacement en alimentant la course aux armements nucléaires à laquelle se livrent les puissances détentrices de cette arme ? Proclamer haut et fort que l’arme nucléaire est « notre garantie ultime de sécurité » ne peut qu’encourager les autres pays à se doter de l’arme nucléaire.

  • Le communiqué affirme: « Un traité d’interdiction des armes nucléaires risque à cet égard d’affecter la sécurité de la région euro-atlantique et la stabilité internationale ».

Le principe a déjà été expliqué par Donald Trump : plus les Américains possèderont d’armes, plus ils assureront leur sécurité. Le Père Ubu n’aurait pas renié cette maxime : enlever des armes de destruction massive à des Etats les conduit fatalement à être plus dangereux !

Comment la France peut-elle à la fois augmenter les dépenses consacrées à son armement nucléaire et prétendre qu’elle respecte le TNP, qu’elle a signé et dont l’article 6 stipule : « Chacune des Parties au Traité s’engage à poursuivre de bonne foi des négociations sur des mesures efficaces relatives à la cessation de la course aux armements nucléaires à une date rapprochée et au désarmement nucléaire… » ?

  • Le communiqué affirme: « Ce traité est également susceptible de fragiliser le traité sur la non-prolifération des armes nucléaires (TNP)»

On reste dans la même contradiction : il ne faut pas aller vers le désarmement nucléaire pourtant prescrit par le TNP, parce cela reviendrait à s’y conformer et donc à l’affaiblir ! Comprenne qui pourra…

  • Le communiqué affirme: « Le désarmement nucléaire ne se décrète pas, il se construit ».

C’est bien parce que le désarmement se construit  qu’il faut mettre en œuvre des propositions concrètes pour progresser dans cette voie. Le traité d’interdiction est une mesure concrète. Beaucoup plus que les discours qui, tout en proclamant la volonté d’aller vers le désarmement, s’accompagnent d’un développement des armements nucléaires et d’une augmentation considérable des budgets qui leur sont consacrés.

  • Le communiqué affirme: « La France demeure pour sa part déterminée à mettre en œuvre les prochaines étapes concrètes du désarmement nucléaire, conformément à ses engagements au titre du traité sur la non-prolifération des armes ».

La France est donc favorable au désarmement nucléaire et, en même temps, elle double les crédits affectés au développement de son arsenal nucléaire… Quelle hypocrisie !

  • Le communiqué affirme: « Les prochaines étapes prioritaires du désarmement nucléaire sont la négociation d’un traité interdisant la production de matières fissiles pour la fabrication d’armes nucléaires et l’entrée en vigueur rapide du traité d’interdiction complète des essais nucléaires. »

La France possède 50 ans de réserves de matières fissiles. Elle ne court donc aucun risque à soutenir la négociation d’un traité qui en interdise la production aux autres pays. Un traité relatif aux matières fissiles à usage militaire qui serait réellement efficace, prévoirait une transparence et une réduction vérifiée des stocks existants. Mais la France se garde bien de formuler cette proposition.

Quant à l’entrée en vigueur du traité d’interdiction complète des essais nucléaires, elle est bloquée notamment par les États-Unis. La France semble s’accommoder de cette situation et n’entreprend pas beaucoup de démarches pour y mettre fin. En tout état de cause, elle peut, comme les autres grandes puissances nucléaires, avoir recours à la simulation pour tester ses nouvelles armes.

  • Le communiqué affirme : « La France a déjà pris des mesures concrètes et substantielles de désarmement nucléaire, notamment en réduisant de moitié son arsenal nucléaire, en arrêtant les essais nucléaires, en ratifiant le traité d’interdiction complète des essais nucléaires, et en fermant de manière irréversible ses installations de production de matières fissiles pour des armes nucléaires. »

Enfin une affirmation exacte… sauf que ces mesures de désarmement nucléaire prises par la France datent de 1998 pour les essais (près de 20 ans) et de 2008 pour la réduction du format des forces nucléaires aéroportées (près de 10 ans). Depuis, la France a décidé de renouveler les deux composantes sous-marines et aéroportées de son armement nucléaire en les dotant de capacités entièrement nouvelles alors même que les équipements de la génération actuelle (missile embarqué sur sous-marin M51.2 et missile aéroporté ASMPA) viennent d’être mis en service ou sont en cours de test et déploiement.

********

        Les responsables politiques, les parlementaires et les médias ne peuvent se contenter de ces contre-vérités et de ces raisonnements fallacieux. Ils se doivent de réagir et d’engager enfin le débat auquel les Français ont droit sur une question aussi fondamentale qui touche à leur sécurité.

         Nous espérons que le nouveau Président, qui dit vouloir rompre avec l’ancien monde et souhaite incarner un visage nouveau de la France, saura montrer qu’il n’est pas attaché aux concepts archaïques d’un monde ancien – celui de la Guerre froide. Il est temps de cesser de jouer avec le feu et de promouvoir une vraie politique de désarmement nucléaire.

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