Chronique d’une fin (du monde) annoncée

Et si l’apocalypse était pour… la semaine prochaine ? Cette inquiétante question est au centre du dernier roman de Guy-Philippe Goldstein.

Analyste des questions de stratégie et de cyberdéfense, Guy-Philippe Goldstein approfondit une réflexion commencée avec son précédent roman : il s’interroge notamment sur les chances de survie de notre espèce à l’heure de la prolifération nucléaire.

Publié le 26/11/2017 à 12:30 | Le Point.fr

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Par Baudouin Eschapasse

Dix ans après Babel minute zéro, où il jouait avec nos nerfs (déjà) sur fond de confrontation sino-américaine, Guy-Philippe Goldstein est de retour en librairie avec un nouveau thriller tout aussi angoissant. Dans Sept jours avant la nuit (1), le romancier de 43 ans propose à ses lecteurs d’envisager rien moins qu’une possible apocalypse nucléaire.

« L’idée n’est pas de se faire peur pour se faire peur, prévient l’écrivain. Mais juste de réfléchir ensemble, à la faveur d’une fiction, aux scénarios du pire qui pourraient se produire si un mouvement terroriste s’emparait de la bombe atomique. »

En 1980, Dominique Lapierre et Larry Collins l’avaient déjà envisagé avec leur Cinquième CavalierMuammar Kadhafi posait un ultimatum à Jimmy Carter après avoir dissimulé une charge radioactive dans New York. Et il y a, dans le livre de Goldstein, comme une forme d’hommage à ces deux aînés.

Peur bleue

Dans son roman, cependant, l’enjeu est très différent puisque c’est un mouvement sectaire qui dispose de la bombe. « La logique de la dissuasion nucléaire repose sur l’idée que cette arme terrible n’est susceptible d’être utilisée que par un État. L’équilibre résulte du fait qu’un régime, fût-il dictatorial, répond à une logique rationnelle et que des dirigeants politiques ont, au final, des comptes à rendre à leur population. Mais qu’en serait-il si cet instrument de destruction massive tombait entre les mains d’une secte religieuse totalement irrationnelle ? » Là réside tout l’enjeu de ce livre à la fois polar, roman d’espionnage et récit d’anticipation.

Les méchants sont ici un groupuscule extrémiste indien vouant à Shiva, divinité la plus destructrice du panthéon hindouiste, un culte délétère. « Je voulais sortir des schémas traditionnels de menace djihadiste », justifie l’auteur. L’héroïne est, comme dans Babel minute zéro, Julia O’Brien, une séduisante espionne américaine.

L’histoire se déroule entre 2020 et 2025. Elle commence à New Delhi où le leader d’un groupuscule ultranationaliste se fait assassiner, inspirant à ses soutiens un désir de vengeance irrépressible. Julia, qui avait dû se livrer aux autorités russes à la fin de Babel, croupit depuis près de cinq ans dans un hôpital psychiatrique au fin fond de la Sibérie où des « médecins » du FSB, service de renseignements héritier du KGB, tentent de lui extorquer un secret, à coup d’interrogatoire et de traitements chimiques. Une équipe de la CIA l’exfiltre.

Julia n’a pas le temps de souffler qu’on lui explique qu’elle doit se mettre à la recherche d’un chargement d’uranium enrichi susceptible d’être utilisé à des fins terroristes. L’héroïne va sillonner le monde pour tenter d’empêcher que les fous de Dieu de la secte « Trishul Bharat Ma » n’ouvrent les portes de l’enfer. Comme dans James Bond, l’héroïne joue à saute-mouton, d’un continent à l’autre, pour traquer l’organisation qui menace la planète de la destruction. Le lecteur voit du pays ! Entre Novossibirsk et Londres, Le Cap, et Riyad, l’héroïne n’a que sept jours pour remplir sa mission. Et l’on imagine très bien le film qui pourrait être tiré de ce scénario.

Une parabole ?

Expert en questions de cyberdéfense (il intervient à la fois au sein de l’École de guerre économique à Paris et à l’Institute of National Security Studies de Tel-Aviv), Guy-Philippe Goldstein signe ici un thriller dont l’intérêt ne réside pas tant dans le suspense de l’intrigue, par ailleurs haletante, que dans la documentation très précise qu’il fait de l’évolution des enjeux géopolitiques mondiaux.

Bien que son livre ait été rédigé entre 2011 et 2014, le romancier y décrit des personnages qui font étonnamment écho aux dirigeants actuels. La présidente américaine (Anne Baker), qui, dans son livre, vient de se faire élire à la Maison-Blanche, est une républicaine impulsive, sous la coupe d’un pasteur baptiste du sud des États-Unis. Et le Premier ministre indien, Jayesh Gupta, qui joue avec le feu en flattant à des fins électoralistes le nationalisme hindou, n’est pas sans évoquer Narendra Modi (Premier ministre indien). Coïncidence ? Les deux frères qui dirigent l’Arabie saoudite, dont le territoire joue un rôle central dans l’intrigue, portent les mêmes prénoms (Salman et Nayef) que les vrais princes héritiers du royaume.

Les développements historiques qui truffent ce livre sont rédigés dans une langue alerte qui n’alourdit jamais le propos. Ils en apprennent beaucoup sur la situation explosive dans laquelle se trouve le sous-continent indien. « En enquêtant sur cet immense pays, je suis tombé amoureux de cette civilisation que je trouve d’une richesse extraordinaire, mais j’ai aussi pris la mesure des dangers qui existent potentiellement dans la région », souligne l’auteur.

Message d’alerte

En abordant frontalement la question de la prolifération nucléaire et les possibles détournements de la technologie par un mouvement millénariste, en pointant du doigt aussi les dangers que constituent la sous-traitance informatique d’une grande partie des systèmes de cybersécurité des États et le développement sans contrôle de logiciels d’intelligence artificielle, Guy-Philippe Goldstein fait vibrer une corde particulièrement sensible. Ce faisant, il espère que les stratèges occidentaux prendront la mesure de la menace qui pèse sur nos têtes.

Son précédent livre, traduit en hébreu, avait donné lieu à de grands débats au sein de l’état-major israélien. « Il était offert aux élèves officiers à la sortie de l’école », s’amuse l’auteur. Espérons que cet ouvrage sera vite traduit en anglais, en hindi et en russe. Sa principale leçon réside en effet dans le parallèle inquiétant que dresse Goldstein entre la psychologie humaine et le comportement de nos lointains cousins… primates. Ce roman interroge la part d’animalité en chacun de nous.

Et le lecteur, conquis, se ruera sur un essai, de deux primatologues anglo-saxons, Richard Wrangham et Dale Peterson, abondamment cité dans ce polar. Leur ouvrage, malheureusement non traduit en français et intitulé Demonic Males (Les Mâles démoniaques), présente une conclusion terrible : en situation de crise, les chimpanzés mâles se rassemblent en faction et font montre d’une violence exacerbée à l’égard des congénères qu’ils croisent, mais qui ne font pas partie de leur clan. Une obsession s’empare alors du groupe : rejoindre la terre maternelle du mâle alpha qui dirige la meute. Une obsession mortifère puisqu’elle détruit progressivement le contrat social qui unissait, jusque-là, la tribu.

On l’aura compris: toute ressemblance avec des personnages existants n’est pas forcément… fortuite.

(1) Sept jours avant la nuit, Guy-Philippe Goldstein, Gallimard/ Série noire, 656 pages, 22,50 €.

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