Vers un emploi des armes nucléaires ?

       L’article de Nathalie Guibert dans Le Monde que nous publions ici mérite une courte mise en perspective. En effet cet article présente ce que pourrait être la nouvelle doctrine nucléaire des États-Unis quand elle sera officiellement exposée à la fin de cette année. Il s’inspire des déclarations du général John Hyten, commandant des forces stratégiques américaines et des commentaires d’un chercheur, que l’on pourrait classer parmi les néo-conservateurs français, partisan convaincu des armes nucléaires.

        En substance il est dit que la doctrine nucléaire américaine, pour répondre aux menaces actuelles, évoluerait vers ce qui était la « flexible response » pendant la guerre froide c’est-à-dire vers un recours limité à l’arme nucléaire avec des armes plus flexibles. S’agissant de la Corée du Nord, il suggère que de telles armes pourraient être utilisées contre ce pays.

        Mais ce que ne dit pas l’article c’est qu’une telle doctrine  signifie que la guerre nucléaire est envisagée clairement dans le cadre d’une stratégie de coercition. Il ne s’agit plus alors de dissuasion nucléaire mais de ce que l’on pourrait appeler de persuasion nucléaire. On n’est plus dans le non-emploi mais dans l’emploi de l’arme nucléaire.

        Cette évolution est dramatiquement dangereuse, car personne ne peut dire comment empêcher ou maîtriser  une escalade nucléaire.

        Il faut ajouter que la doctrine française telle qu’elle transparait dans les déclarations des derniers présidents de la République évolue de la même façon. Alors que la doctrine est officiellement celle de la dissuasion nucléaire et donc du non-emploi, en réalité et dans la plus grande discrétion, la France a adopté le concept du recours limité à l’arme nucléaire c’est-à-dire à la guerre nucléaire.

         Cette inflexion majeure de la  doctrine nucléaire de notre pays (et de celles d’autres États nucléaires) doit être mise en lumière contrairement à cet article,  ainsi que ses conséquences dramatiques pour la sécurité mondiale.

        Bernard Norlain, vice Président d’IDN

 

LE MONDE | 22.11.2017 à 11h47 | Par Nathalie Guibert (Halifax (Canada), envoyée spéciale)

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La doctrine nucléaire des États-Unis en question

Le général Hyten, chef des forces stratégiques, a déclaré qu’il n’exécuterait pas un ordre  « illégal  » de Trump

Thursday, Nov. 3, 2016 file photo, Air Force Gen. John Hyten, (AP Photo/Nati Harnik)

 

Le général John Hyten, commandant des forces stratégiques américaines, vient de nourrir malgré lui le débat de politique intérieure qui sévit aux États-Unis sur les capacités à gouverner du président Donald Trump. En août, celui-ci avait promis à la Corée du Nord une puissance  « de feu et de fureur telle que le monde n’en a jamais vu ». Au Congrès, des élus démocrates veulent en conséquence mieux encadrer le pouvoir du président républicain, tenté de déclencher une frappe nucléaire préventive face à Kim Jong-un.

Le général Hyten, présent au Forum international sur la sécurité d’Halifax (Canada) du 17 au 19  novembre, a expliqué pour sa part qu’il n’appliquerait pas aveuglément la décision éventuelle d’une telle apocalypse.  » Je vais donner des conseils au président, il me dira quoi faire. Et si c’est illégal, devinez quoi ? Je dirai : Monsieur le président, c’est illégal. Et devinez ce qu’il fera ? Le président me demandera ce qui est légal. Nous apporterons des options, un ensemble de possibilités pour répondre à toutes les situations. Ce n’est pas si compliqué. »

Le général dit se plier aux principes du droit de la guerre : la nécessité d’employer l’arme atomique, la proportionnalité de la réponse, la discrimination des cibles, la -limitation des pertes civiles. «  Si vous exécutez un ordre illégal, vous allez en prison pour le restant de votre vie ! Cela s’applique à l’arme nucléaire », a-t-il ajouté.

 «  Fardeau de l’escalade »

Au-delà de l’imprévisibilité de M. Trump, des raisons plus profondes, liées à la crédibilité de la dissuasion américaine, peuvent expliquer le retour d’un certain débat sur le nucléaire aux États-Unis. Le secrétaire à la défense, James Mattis, a demandé de « créer les conditions pour que la diplomatie fonctionne, tout en étant prêt, chaque minute, chaque jour, à répondre à tout événement en provenance de Corée du Nord », relate le général Hyten. Selon lui, l’assurance que cela pourrait  « mal finir »  pour Kim Jong-un  « est un élément de dissuasion clair ».

Les États-Unis ont un plan de modernisation de leur arsenal atomique de 1 500  milliards de dollars (1300 milliards d’euros) sur trente ans. Lancé par l’ancien président Barack Obama, il est confirmé par la nouvelle administration, en dépit des critiques sur son coût.  « Les gens ont oublié ce qu’est la dissuasion », juge M. Hyten. Evident durant la guerre froide,  « ce concept est beaucoup plus large au XXIe  siècle. La dissuasion commence avec les armes nucléaires mais englobe les activités spatiales, le cyber et les armes conventionnelles ».

La doctrine américaine a intégré de longue date la nécessité de gérer une éventuelle escalade par un recours limité à l’arme nucléaire, note Corentin Brustlein, de l’Institut français des relations internationales (IFRI), dans une analyse à paraître vendredi 24  novembre ( « La Guerre nucléaire limitée : un renouveau stratégique américain » ). Mais les États-Unis ont dû adapter leur posture face aux scénarios militaires posés par la Corée du Nord et la Russie, ainsi que face aux nouvelles armes de  » déni d’accès  » (des défenses antiaériennes puissantes). L’arsenal nucléaire comptera à l’avenir des armes plus  « flexibles », c’est-à-dire de puissance variable ou duale (conventionnelles et nucléaires).

 « La probabilité est aujourd’hui plus grande que le seuil nucléaire soit franchi en premier par les adversaires des États-Unis, plutôt que par ces derniers ou par l’OTAN. Pour autant, le fardeau de l’escalade n’en apparaît pas moins lourd ». explique M. Brustlein. Sous Obama, la priorité a été de  « maximiser l’effet dissuasif initial, c’est-à-dire de décourager le premier emploi limité de l’arme nucléaire, plutôt que de démontrer la capacité à prendre l’ascendant à chaque palier d’une escalade ». Les plans militaires ont aussi intégré les capacités conventionnelles, cyber et spatiales.

 «  Il faut un plan B »

Début 2018, M. Trump validera une nouvelle doctrine nucléaire. En attendant,  « le Pentagone a dû revenir aux fondamentaux, notamment les principes de la “diplomatie de la violence” théorisée par Thomas Schelling, qui rappelait la nécessité de coupler la menace (de représailles ou d’interdiction) et la promesse de retenue si l’agresseur abandonne ses ambitions », écrit l’IFRI.

Peut-on vivre avec une Corée du Nord nucléaire, se sont demandé les participants du forum d’Halifax ?  » La réponse est oui. La question est plutôt : le veut-on ? », a répondu le général Hyten. «  Nous devons admettre que la stratégie menée vis-à-vis de la Corée du Nord est un échec », a assuré l’ancien ministre israélien de la défense Moshe Yaalon, pour qui, par ailleurs, la menace principale demeure l’Iran.

Les responsables militaires américains sont prudents, mais certains pensent qu’il faut frapper, confie au Monde Eliot -Cohen, professeur à l’université Johns-Hopkins de Washington.  « Comme une partie de l’armée sud-coréenne, pour qui l’alternative est entre la guerre et le fait d’assumer que le pays soit un protectorat américain à vie. »

La menace nord-coréenne atteint  « le système d’alliance des Etats-Unis, car la Corée du Sud et le Japon ne font pas complètement confiance au parapluie nucléaire », a rappelé Sung-han Kim, de l’Institut Ilmin des relations internationales de Séoul.  » Il nous faut un plan  B, car nos efforts diplomatiques ont échoué », estime cet expert pour qui trois options se présentent : « L’achèvement complet du parapluie américain, le redéploiement d’armes nucléaires tactiques américaines en Corée du Sud, ou le développement par la Corée du Sud de ses propres armes. «  Sur ce dernier point, le général Hyten a clairement répondu : «  Non. » 

Nathalie Guibert

© Le Monde

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