Bombe iranienne : les fausses preuves des Américains

Alors que le cycle de négociations prévu entre l’Iran et les grandes puissances arrivait à son terme le 20 juillet un journaliste américain, Gareth Porter, publie un livre particulièrement embarrassant pour son pays*. Les éléments sur lesquels Washington s’est basé pour soumettre l’Iran à un embargo, démontre-t-il preuves à l’appui, ont été fabriqués de toutes pièces. Une manipulation qui rappelle l’affaire des «armes de destruction massive » imaginaires de l’ancien régime irakien.

 

Ci-dessous un article du général Etienne Copel,

publié en 2014 dans le numéro 45  de La Revue pour l’intelligence du monde

 

 

Washington, 14 octobre 1990.

Devant les télévisions du monde entier, convoquées pour une conférence au Congrès, l’infirmière Nayirah raconte. Le 2 août, elle est en vacances au Koweit, avec une partie de sa famille, lorsque les troupes de Saddam Husein envahissent le pays. Venue rendre visite à sa sœur, qui venait d’accoucher, à l’hôpital de Koweit City, elle voit « de ses yeux les soldats irakiens entrer dans l’hôpital avec leurs armes. Ils ont tiré sur les bébés des couveuses, ils ont pris les couveuses et ont laissé mourir les bébés sur le sol froid. » Très émue, la jeune Nayirah évoque aussi l’un de ses amis, âgé de 22 ans : « Les Irakiens lui ont plongé la tête dans un bassin, jusqu’à ce qu’il soit presque noyé. Ils lui ont arraché les ongles. Ils lui ont fait subir des chocs électriques sur les parties sensibles de son corps. Il a beaucoup de chance d’avoir survécu. »

Ce témoignage choc a ému l’opinion publique internationale, préparant le terrain à l’offensive lancée, le 16 janvier 1991, contre l’Irak. Problème : on a appris, depuis, que Nayirah se nommait en fait al-Sabah, n’avait jamais quitté le territoire américain et était, accessoirement, la fille de l’ambassadeur du Koweit à Washington… Son « témoignage » avait été soigneusement préparé et répété avec des conseillers en communication chargés de « vendre » ce qui allait devenir la première guerre du Golfe à l’opinion publique.

Cette manipulation, aujourd’hui, n’est plus contestée. Tout comme n’est plus contesté le fait que les photos satellites présentées par les Américains et leurs alliés pour « prouver » qu’après le Koweit, l’Irak s’apprêtait à attaquer l’Arabie saoudite, étaient truquées.

Douze ans plus tard, en 2003, George Bush fils occupe le Bureau ovale, comme son père avant lui. Et comme son père, il est décidé à attaquer l’Irak. Le 5 février de cette année-là, c’est le secrétaire d’Etat Colin Powell, ancien chef suprême des armées américaines lors de la première guerre du Golfe, qui présente à son tour des preuves « irréfutables ». Le régime de Saddam, affirme-t-il devant les Nations unies, possède des armes chimiques et la capacité d’en produire d’autres, beaucoup d’autres, dans un délai très court. « Il n’y a aucun doute dans mon esprit », ajoute l’ancien général, quant au fait que l’Irak travaille à la production d’engins nucléaires. Là encore, l’administration américaine avait de quoi prouver ses accusations : des photos montraient clairement les armes de destruction massive qu’était en train d’amasser le régime irakien. Photos « aménagées », là encore, comme on le découvrit plus tard. Colin Powell, dit-on, estime avoir été trompé et ne s’en est jamais remis.

Tout cela est désormais admis et connu. Plus personne, à part une poignée de va-t-en guerre américains ou israéliens (le Mossad ayant largement contribué à fabriquer les faux témoignages qui ont justifié l’ « Operation Iraqi Freedom » américaine de 2003) parmi les plus extrémistes, ne conteste ces manipulations. Une autre idée, par contre, a continué à faire consensus jusqu’à une période très récente, et conserve beaucoup de partisans : l’Iran des mollahs travaille depuis des années à se doter d’un arsenal nucléaire.

C’est la façon dont ce consensus s’est construit, progressivement, que le journaliste américain Gareth Porter décortique dans son livre Manufactured Crisis. Et son récit est aussi inquiétant que fascinant. Inquiétant car il montre comment des sanctions extrêmement dures, touchant essentiellement des populations innocentes, peuvent être décidées par des hommes politiques parfois manipulés, et prêts eux-mêmes à pas mal d’arrangements avec la réalité. Fascinant parce que, malgré tout le mal que l’on peut en penser, on ne peut qu’admirer le réalisme et l’efficacité de la manière dont l’histoire a été montée.

Pendant de longues années, tout a été fait pour accréditer l’idée selon laquelle l’Iran était le pôle majeur de l’ « axe du mal ». Les Israéliens ont contribué très activement à bâtir cette thèse, mais ils ne sont pas seuls en cause, loin de là ! Pour Gareth Porter, Robert Gates, qui fut le secrétaire à la Défense de George W. Bush avant d’occuper le même poste dans l’équipe de Barack Obama, a joué un rôle primordial dans la manipulation. Agent, puis patron de la CIA de 1966 à 1993, Gates a tout fait, de longue date, pour diaboliser le régime de Téhéran. En 1989 déjà, alors que le président George Bush (père) voyait dans le remplacement de l’ayatollah Khomeini par Ali Khamenei au poste de Guide suprême une opportunité d’améliorer les relations américano-iraniennes, Robert Gates mit tout en œuvre pour s’y opposer. Devenu directeur de la CIA, il fut appelé à témoigner sous serment dans le cadre de l’enquête sur le financement des Contras nicaraguayens par des ventes d’armes illégales à Téhéran. « L’Iran, assura-t-il à l’époque sans disposer de la moindre preuve, est en train de développer une capacité de produire des armes de destruction massive. ». Avant d’ajouter que le pays était, selon lui, « profondément engagé dans d’autres formes de terrorisme qui rendent très, très difficile toute amélioration des relations avec lui ».

Ces déclarations, qui se révélèrent totalement fausses, marquèrent néanmoins durablement les esprits. Si bien qu’une décennie plus tard, au lendemain des attaques du 11 septembre 2001, les néo-conservateurs de l’administration américaine reprirent à leur compte les affirmations de Robert Gates sur le supposé programme nucléaire iranien. L’argumentation développée à cette période reposait en particulier sur l’idée selon laquelle la volonté iranienne d’enrichir de l’uranium ne pouvait s’expliquer que par l’envie de posséder « la bombe ». En face, Téhéran expliquait que son intention était simplement de pouvoir alimenter sa centrale nucléaire civile, tout à fait officielle, de Bushehr. Sans parvenir à convaincre.

La méfiance ne fit qu’augmenter lorsque les Iraniens refusèrent de cesser leur programme d’enrichissement en échange de la livraison par les Occidentaux de la quantité exacte d’uranium enrichi nécessaire au fonctionnement de leur centrale. Les autorités de Téhéran justifiaient leur refus par l’échec de leur partenariat avec les Français. En 1977, sous le régime du Shah, Paris s’était engagé à fournir à Téhéran 10 % de l’uranium produit par l’usine Eurodif de Pierrelatte, dans la Drôme. Le contrat ayant été rompu unilatéralement par la France, les Iraniens expliquaient ne plus pouvoir faire confiance aux promesses de ce type et refusaient de dépendre d’un fournisseur étranger. Une exigence totalement conforme à l’esprit et à la lettre du traité de non-prolifération nucléaire (TNP) qui leur accordait pleinement le droit d’accéder à la production d’électricité nucléaire. L’explication, pourtant, ne permit pas de convaincre ceux qui étaient persuadés – ou voulaient se persuader – que l’Iran ne voulait qu’une chose : la bombe.

De même, souligne Gareth Porter dans son enquête, les Américains n’ont jamais accordé le moindre crédit à la fatwa par laquelle le Guide suprême Ali Khamenei a exclu la fabrication par son pays d’armes de destruction massive. Lors de la guerre Iran-Irak, pourtant, l’ayatollah Khomeini avait déjà proclamé que ces armes étaient contraires à la loi islamique. Et avait refusé l’emploi d’engins chimiques, même en représailles contre ceux utilisées par Saddam Hussein.

Mais il ne s’agit là que de suspicion. La partie la plus choquante du livre de Porter concerne la façon dont les services secrets israéliens ont fabriqué, pendant une très longue période, de faux renseignements que les Américains ont ensuite relayés en toute connaissance de cause.

L’épisode le plus effarant de cette stratégie d’intoxication a débuté à la fin de l’été 2004. Les autorités américaines sont alors entrées en possession d’une importante masse de documents (plus de 1000 pages) supposés provenir d’un programme de recherche iranien sur les armes nucléaires. L’origine de ces documents resta longtemps mystérieuse jusqu’à ce qu’un journaliste du Times, David Sanger, apprenne – sans doute par une fausse fuite organisée par la CIA – que les informations émanaient d’un scientifique iranien « retourné » par les Occidentaux lors d’un congrès international. Se sentant surveillé, l’homme avait confié à sa femme, qui s’apprêtait à quitter le pays avec leurs enfants, un ordinateur portable rempli de renseignements sensibles. Le chercheur avait ensuite disparu. Emprisonné ou tué, nul ne savait. David Sanger, bien sûr, publia les informations, accréditant la thèse de la volonté iranienne de développer des armes nucléaires.

Très vite, pourtant, la communauté du renseignement fit part de ses doutes quant à l’authenticité des documents du supposé scientifique. Impossible de trouver la moindre trace de l’espion ou de sa famille ; problèmes évidents de cohérence dans certaines dates ; faiblesse d’une partie des données contenues dans l’ordinateur, qui comportaient des erreurs techniques.

Surtout, le 22 novembre 2004, le député allemand, Karsten Voigt, conseiller de son gouvernement pour les relations germano-américaines, révéla que l’ensemble des documents avaient été fournis aux services spéciaux allemand, la BND, par les Moudjahidines du peuple, organisation bien connue de résistance au régime des mollahs. Il était de notoriété publique que ce mouvement avait déjà, par le passé, été utilisé par le Mossad israélien pour tenter d’influencer les Américains. C’est notamment par son intermédiaire, puis par celui de la BND, qu’avaient transité les prétendues preuves – utilisées ensuite par Colin Powell devant le Conseil de sécurité des Nations unies – démontrant l’existence en Irak de laboratoires mobiles de guerre biologique. A l’époque, les services allemands avaient prévenu la CIA que ces informations ne devaient pas être considérées comme fiables. Information que l’Agence c’était bien gardée de transmettre au général Powell.

Malgré des doutes sérieux sur la crédibilité des informations extraites du fameux ordinateur portable – doutes finalement confirmés en 2012 par un livre israélien, Spies against Armageddon, qui affirme que le Mossad est à l’origine de l’affaire – les Américains continuèrent pendant des années à s’appuyer sur cette source pour pousser l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) à durcir sans cesse ses exigences envers l’Iran et pour inciter la communauté internationale à adopter des sanctions contre Téhéran. Preuve de la validité de ces informations, expliquaient-ils : les Iraniens eux-mêmes avaient admis la véracité de certains documents. En 2011, l’AIEA finit par indiquer que seuls quelques noms de personnes et de lieux avaient, effectivement, été confirmés.

Autre exemple de manipulation précisément disséqué dans le livre de Gareth Porter : celui de la « chambre d’essais de Parchin ». En 2007, constatant qu’un nombre croissant d’Américains semblait convaincus que les Iraniens avaient, comme ils l’affirmaient, interrompu leur programme nucléaire, les Israéliens décidèrent de relancer la machine. En prétendant, cette fois, que Téhéran menait des expériences secrètes sur les explosifs susceptibles d’être utilisées pour rendre une bombe opérationnelle.

La première étape de l’opération consista à affirmer qu’un scientifique russe spécialisé dans les explosions de forte puissance dans un espace clos, Vyacheslav Danilenko, s’était mis au service des Iraniens. Des informations furent transmises à la CIA, puis reprises par plusieurs journaux américains, affirmant que Danilenko, présenté comme un vétéran du complexe nucléaire soviétique de Cheliabinsk-70, était devenu le maître d’œuvre du programme de conception de l’amorce explosive de la bombe iranienne.

Mohammed El Baradei, le président de l’AIEA, accueillit ces nouvelles « révélations » avec un certain scepticisme, et commença par refuser de les cautionner. Mais son adjoint, le Finlandais Olli Heinonen, se montra bien plus réceptif. Bientôt, la presse fut inondée d’informations présentées comme des fuites, prétendant que l’Egyptien El Baradei « laissait dormir dans un tiroir » un rapport secret sur les expérimentations iraniennes. Jugé insuffisamment docile, il fut finalement évincé en novembre 2009 et remplacé par un diplomate japonais bien plus ouvert aux thèses israéliennes et américaines : Yukiya Amano. En novembre 2011, le rapport annuel de l’AIEA était publié avec, en annexe, des informations détaillées sur le site militaire iranien de Parchin, présenté comme un centre d’expérimentation des explosions.

Précision technique : pour construire une arme nucléaire, il ne suffit pas de disposer de matière fissile en quantité suffisante. Il faut aussi être capable de concentrer cette matière pour atteindre la fameuse masse critique à partir de laquelle la réaction en chaîne se déclenche. Selon le rapport de l’AIEA, des « sources secrètes » indiquaient que le site de Parchin abritait un grand cylindre capable de contenir jusqu’à 70 kilogrammes d’explosif et destiné, précisément, à mettre en œuvre des explosions expérimentales. Des photos satellites, pouvait-on aussi y lire, étaient « compatibles » avec cette hypothèse. Ces photos, hélas, n’étaient pas fournies dans le document.

Une fois de plus, le rapport fut rapidement contesté. Un ancien inspecteur de l’AIEA, Robert Kelley, qui avait été chef de projet sur le renseignement nucléaire au fameux Laboratoire national de Los Alamos, en souligna les incohérences, expliquant notamment que la mise à feu par détonateurs multiples (multipoint initiation system) dont faisait état le rapport officiel pouvait s’appliquer à une arme nucléaire au plutonium mais pas du tout à une bombe à l’uranium enrichi comme celle que les Iraniens étaient supposés vouloir construire.

Constatant que ses arguments ne portaient pas, Kelley proposa ensuite à l’AIEA d’envoyer des inspecteurs sur le site de Parchin. Si des expérimentations avaient effectivement eu lieu, assurait-il, il serait facile d’en trouver des traces. L’Agence ne présenta même pas de demande aux Iraniens, expliquant qu’ils avaient sûrement eu le temps de nettoyer leurs installations en prévision d’une inspection.

De son côté, Vyacheslav Danilenko fit savoir qu’il n’avait jamais travaillé pour l’industrie nucléaire soviétique. Ses recherches, expliqua-t-il, et cette version fut confirmée par les autorités russes, portaient sur la fabrication de micro particules de diamant sous de fortes pressions obtenues à la suite d’explosions dans une enceinte close.

Alors que les négociations entre l’Iran et les grandes puissances du groupe des « 5 + 1 » (Allemagne, Chine, Etats-Unis, France, Royaume-Uni et Russie) semblent vouloir trouver une issue positive, que penser de l’enquête publiée par Gareth Porter ? Où commence la manipulation ? Où s’arrête-t-elle ? Pour le réalisateur américain Oliver Stone et l’historien Peter Kuznick, co-auteurs en 2012 d’une Histoire secrète des Etats-Unis, la cause est entendue. Porter, écrivent-ils, « démolit systématiquement et magistralement trois décennies de mensonges américains et alliés autour du programme d’armement nucléaire iranien qui n’a jamais existé ».

Certains objecteront qu’Olivier Stone, depuis des années, s’est fait une spécialité de dénoncer les errements de son pays, parfois jusqu’à l’outrance. Mais lorsque l’ancien ambassadeur américain en Arabie saoudite Chas W. Freeman salue le travail de Porter et évoque « les errements des diplomaties américaine et israélienne visant à justifier leurs conceptions infondées », est-il suspect de partialité ? Quand l’ancien vice-président du Conseil national du renseignement de la CIA, Graham E. Fuller, parle de la « fabrication de « faits » orientés pour atteindre les objectifs douteux des politiques américaine et israélienne », peut-on l’imaginer en gauchiste subversif ?

Le Suédois Hans Blix, qui a dirigé l’AIEA de 1981 à 1997 avant de présider, entre 2000 et 2003, la Commission de contrôle de vérification et d’inspection des Nations unies – qui s’est notamment opposée à George W. Bush sur la question des armes de destruction massive irakienne – a son idée sur la question. « Dans le cas de l’Irak, écrit-il, des renseignements inventés ont contribué au déclenchement d’une guerre contre des armes de destruction massive qui n’existaient pas. Des renseignements non prouvés, ou fabriqués, auraient-t-ils pu conduire à une attaque contre l’Iran ? Je suis reconnaissant à Gareth Porter pour son examen fouillé et critique des renseignements fournis à l’AIEA. Quand des services de sécurité vont jusqu’à assassiner des scientifiques, on peut considérer qu’ils n’hésiteraient sans doute pas à faire circuler de fausses preuves. » Malgré son ton prudemment diplomatique, Hans Blix ne semble guère avoir de doutes sur les informations de Gareth Porter : la crise de la bombe iranienne a bien été fabriquée. De toutes pieces

Le jeu dangereux des Américains

S’il est évidemment impossible de vérifier par soi même l’ensemble des arguments avancés par Gareth Porter, on ne peut que s’incliner devant la qualité de son travail d’historien. Tous les témoignages qu’il rapporte, tous les textes qu’il cite au fil des centaines de pages de son ouvrage sont parfaitement référencés. Et l’on peut difficilement fermer Manufactured Crisis sans être persuadé que les accusations concernant le programme nucléaire iranien ont été forgées de toutes pièces par les faucons israéliens et américains. Les soutiens qu’a reçu Porter depuis la parution de son livre, de l’ancien patron de l’AIEA, Hans Blix à l’universitaire Juan Cole ou au lauréat du prix Pulitzer Seymour M. Hersh, prouvent d’ailleurs que sa thèse est largement acceptée.

Aujourd’hui, les Américains connaissent la vérité. On peut donc espérer que ce peuple qui a inventé la  émocratie vertueuse, chantée par Tocqueville, va reconnaître ses errements. Cesser de s’appuyer sur des allégations frauduleuses pour imposer des sanctions au peuple iranien. Et, accessoirement, mettre en sourdine les accusations contre les sociétés étrangères qui, comme la banque française BNP Paribas (lire La Revue N°44), sont aujourd’hui lourdement sanctionnées pour avoir bravé un embargo motivé par des preuves qui n’en étaient pas.

Si l’on en croit les juristes romains inventeurs de la règle « Nemo auditur propriam turpitudinem allegans », personne ne peut, en justice, s’appuyer sur ses propres turpitudes. Les Américains à l’évidence devraient cesser de le faire. Et s’ils ne le font pas ? Alors la révolte grondera. Et un jour viendra où les Européens, les Asiatiques et la plupart des autres habitants de notre planète s’uniront pour régler leurs affaires entre eux, en se passant des Etats-Unis. Et du dollar.

Général Etienne Copel

* Manufactured Crisis, the Untold Story of the Iran Nuclear Scare, de Gareth Porter, éd. Just World Books, non traduit en français.

Le talentueux Mr Gates

Robert Michael Gates, le secrétaire à la Défense qui a tant fait pour accréditer la thèse selon laquelle l’Iran cherchait à se doter d’un arsenal nucléaire, restera dans l’histoire contemporaine américaine comme un personnage hors normes. Premier employé de la CIA à gravir tous les échelons de l’agence, d’agent de terrain à directeur, il est aussi l’un des rares responsables politiques – mais pas le seul – à avoir servi deux présidents successifs, l’un républicain et l’autre démocrate. Et ce au même poste. Robert Gates fut en effet le secrétaire à la Défense de George W. Bush de 2006 à 2008 avant de rempiler, sous la présidence de Barack Obama. Lors de son départ à la retraite, en juillet 2011, le président lui décerna la plus haute distinction civile des Etats-Unis, la Presidential Medal of Freedom. Et le Washington Post écrivit que Gates était « considéré comme le meilleur secrétaire à la Défense depuis la deuxième guerre mondiale ».

Difficile de croire qu’un tel homme ait pu mentir sciemment sur le nucléaire iranien ? A voir. Le nom de Gates a été cité dans de nombreuses affaires, à commencer par le fameux Irangate. Les Etats-Unis, découvrit-on à la fin des années 1980, avaient financé la rébellion anti-marxiste du Nicaragua en vendant des armes… à l’Iran. Gates n’avait pas été associé à la décision mais, comme il occupait déjà un poste à responsabilités à l’époque, il fut auditionné à plusieurs reprises, sans être finalement mis en cause.

En 2006, lors de sa nomination au secrétariat à la Défense, il fut à nouveau entendu par une commission sénatoriale. Qui, sans émettre d’avis défavorable, souligna que Robert Gates faisait partie des cadres de la CIA qui, dans les années 1980, avait délibérément fabriqué des preuves portant le gouvernement américain à surestimer la menace militaire soviétique. Tout comme il lui fut reproché d’avoir apporté son soutien à un rapport assurant que l’URSS était impliquée dans l’attentat commis en 1981 contre le pape Jean-Paul II.

Aucune de ces affaires ne valut réellement d’ennuis à Gates. Même le témoignage d’un ancien chef de service, Melvin Goodman, assurant en 1991 que jamais la CIA n’avait atteint un niveau de corruption aussi généralisé que sous la direction de William Casey, dont Gates était l’adjoint, ne parvint pas à ternir son image.

Depuis son départ en retraite, l’ancien secrétaire à la Défense siège à plusieurs conseils d’administration. Il a aussi été élu président des Boy Scouts of America.

O.M.

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