Corée du Nord : des activités nucléaires dissimulées ?

Au cours d’un sommet historique à Singapour le 12 juin dernier, le président américain Donald Trump et le dirigeant nord-coréen Kim Jong-un ont signé une courte déclaration commune promettant d’œuvrer vers une dénucléarisation de la péninsule coréenne. Pourtant, trois semaines plus tard, la sincérité de la Corée du Nord est remise en question. Malgré la poursuite des négociations entre les deux Etats, plusieurs obstacles semblent se dresser sur le long chemin de la dénucléarisation.

Article de Solène Vizier

« Il n’y a désormais plus de menace nucléaire de la Corée du Nord » se félicitait Donald Trump au lendemain de sa rencontre avec Kim Jong-un à Singapour, le 12 juin. Le président américain expliquait alors que son homologue nord-coréen s’était engagé, à travers une déclaration commune, à une « dénucléarisation complète de la péninsule coréenne ». Pourtant, moins d’un mois plus tard, plusieurs études et le renseignement américain dénoncent la duplicité du régime nord-coréen qui n’a pas gelé ses programmes nucléaires et balistiques, et les auraient même accélérés.

            Des preuves de la duplicité nord-coréenne ?

S’appuyant sur des analyses d’images satellites réalisées par le Middlebury Institute of International Studies, le Wall Street Journal a révélé que la Corée du Nord avait achevé l’agrandissement de son usine de fabrication de missiles balistiques à combustible solide et de véhicules de rentrée d’ogives à Hamhung. Ces évolutions permettraient à la Corée du Nord de transporter et lancer des missiles plus rapidement, avec une mise à feu immédiate, quand les missiles à combustible liquide nécessitent une longue phase de ravitaillement. Le gros des travaux aurait eu lieu entre avril et juin 2018, quand Kim Jong-un rencontrait le président sud-coréen Moon Jae-in le 27 avril et Donald Trump le 12 juin.

Mercredi 27 juin, déjà, l’Institut de référence sur l’étude de la Corée du Nord, 38 North, dévoilait des images de construction de nouvelles infrastructures sur le site de l’usine d’enrichissement de Yongbyon, complexe nucléaire stratégique où a été développée la majeure partie des bombes atomiques du pays. The Diplomat révélait aussi que Pyongyang avait accéléré le développement de tracteur-érecteur-lanceur (TEL), un véhicule permettant de transporter et de tirer un ou plusieurs missiles. Il existe donc des signes que la Corée du Nord, loin de s’être engagée dans la dénucléarisation, continue d’améliorer et d’étendre l’infrastructure de ses principaux sites nucléaires.

Une crainte corroborée par les services d’espionnage américains et par une investigation de la Defense Intelligence Agency (l’agence en charge du renseignement militaire). La chaîne NBC et le Washington Post rapportaient ce weekend que le régime de Kim Jong-un avait l’intention de conserver une partie de son stock de matériel nucléaire et de ses sites de production. Selon le journal, « les preuves, collectées après le sommet du 12 juin à Singapour, montrent des préparatifs destinés à tromper les États-Unis sur le nombre exact d’armes et sur l’existence de sites secrets de production de matière fissiles ». Si l’on estime le nombre de têtes nucléaires nord-coréennes à 65, il pourrait en réalité être bien plus élevé. De surcroît, Pyongyang aurait accru sa production d’uranium de qualité militaire et de plutonium. Quant au site souterrain de Kangson, dédié à l’enrichissement d’uranium et dont l’existence a été révélée en mai dernier, il serait exploité en secret par les nord-coréens : il aurait une capacité de production deux fois supérieure à celle de Yongbyon et pourrait abriter plusieurs milliers de centrifugeuses.

Pour John Bolton, une dénucléarisation en un an.

La Corée du Nord ferait donc preuve de duplicité, ayant pour objectif d’obtenir le maximum de Donald Trump tout en conservant sa capacité nucléaire. Mardi, le président américain a balayé d’un revers de main les soupçons de ses services secrets, même s’il reconnait la possibilité qu’un accord avec le régime de Pyongyang « ne marche pas ». La Maison Blanche n’a ni infirmé ni confirmé les informations parues dans les médias. John Bolton, le conseiller à la sécurité nationale des Etats-Unis, a affirmé dans une interview accordée à la chaîne de télévision américaine CBS qu’ « aucun de ceux qui participent à ces négociations ne fait preuve de naïveté ». Avant d’ajouter que la dénucléarisation de la Corée du Nord pourrait se faire en un an.

Il a présenté un plan à cet effet, qui inclurait une déclaration de la part de la Corée du Nord de toutes ses armes nucléaires, mais aussi chimiques et biologiques, ainsi que de toutes ses installations de production de missiles balistiques. En échange d’une coopération nord-coréenne et d’un processus rapide, les Etats-Unis pourraient ensuite assouplir les sanctions qui étranglent le régime de Pyongyang. Si Bolton a précisé que Mike Pompeo, le secrétaire d’Etat américain, serait en charge du dossier, il n’a donné aucune indication sur les moyens engagés ni sur une date limite d’application d’un tel accord. Pour les Etats-Unis, la négociation d’un tel plan avec Kim Jong-un représente le premier vrai test de franchise du régime nord-coréen. Pourtant, un démantèlement en un an paraît physiquement impossible. Et, pour le moment, la dénucléarisation de la Corée du Nord demeure une vague promesse à long terme.

Des obstacles à la dénucléarisation.

Si Donald Trump considère que la courte déclaration signée le 12 juin dernier à Singapour signifie un démantèlement complet, de façon vérifiable, irréversible et immédiate, des armes de destruction massive nord-coréennes, des missiles balistiques à longue portée ainsi que des capacités de production, Kim Jong-un n’a rien signé de tel. A Singapour, le dirigeant nord-coréen s’est engagé à « œuvrer vers une dénucléarisation complète de la péninsule coréenne ». Et ce, seulement après une normalisation des relations entre les Etats-Unis et la Corée du Nord, puis après la mise en place d’un régime de paix durable et stable. Kim Jong-un considère donc que la dénucléarisation doit être un processus étape par étape au moins sur le moyen terme, concernant également les Etats-Unis qui doivent mettre fin à leur parapluie nucléaire en Corée du Sud. Aucun calendrier n’a été défini.

Même si la Corée du Nord décidait de coopérer, elle n’a pas non plus donné de mesures concrètes et immédiates concernant ses programmes d’armement. En guise de bonne foi, Kim Jong-un avait promis l’arrêt des essais nucléaires nord-coréens et la destruction de son site d’essais nucléaires de Punggye-ri. Mais toutes les mesures prises jusqu’ici sont réversibles. La Corée du Nord possède les capacités pour reconstruire des sites de test ou d’utiliser des sites mobiles. Même la destruction des accès aux tunnels du site de Punggye-ri n’a rien d’irréversible. Et, alors que Trump avait annoncé à la suite du sommet du 12 juin que Kim Jong-un lui avait promis de détruire son site de test de missiles de Sohae, force est de constater que rien n’a été fait dans ce sens.

Enfin, il reste à aborder de nombreuses questions pour une dénucléarisation effective. Aucune notion de temps ou de portée d’un potentiel accord n’a été discutée. L’obligation de la Corée du Nord de signer le TNP ne semble pas non plus figurer au programme des négociations, tout comme la ratification du Protocole additionnel de l’AIEA autorisant des inspections intrusives. Sur ce dernier point, la Corée du Nord considère qu’elle mettrait en danger la survie de son régime si elle autorisait l’accès de ses sites pour des inspections. Les inspecteurs désignés pourraient alors aller au-delà de leurs prérogatives et donner des informations sur la localisation des dirigeants nord-coréens ou encore sur les moyens de défense de la Corée du Nord. C’est donc une question de sécurité nationale qui rend un potentiel désarmement impossible à vérifier.

Ainsi, dans les faits, la Corée du Nord n’a toujours pas pris d’engagements concrets sur la dénucléarisation. A l’inverse, les Etats-Unis réclament une dénucléarisation nord-coréenne immédiate, mais semblent oublier que, en contrepartie, ils doivent mettre fin à la protection nucléaire américaine de la Corée du Sud. Ce jeu de dupes est aussi à mettre en relation avec la situation du nucléaire iranien. La décision précipitée de Trump de se retirer de l’accord n’incite probablement pas la Corée du Nord à signer un quelconque accord durable avec les Etats-Unis. Ce jeudi 5 juillet, le secrétaire d’Etat américain Mike Pompeo effectuera sa troisième visite à Pyongyang depuis le début de l’année. Nul doute qu’il aura fort à faire lors d’un voyage qui s’annonce délicat.

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IDN-France

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