Le Jour où la Terre s’arrêta

Critique du film « Le jour où la Terre s’arrêta »

par Annick Suzor-Weiner, en avril 2018 pour la Revue « Silence » chronique « Nucléaire, ça boum ! »

En 1951, Robert Wise réalisait un film prémonitoire, récemment restauré : « Le Jour où la Terre s’arrêta », mêlant science-fiction et actualité politique, en ce début de guerre froide. Un extra-terrestre charismatique se pose à Washington dans l’espoir de convaincre l’humanité, sous peine de destruction immédiate, d’arrêter les conflits qui déchirent la planète et en particulier sa course aux armements nucléaires. Pour Robert Wise, il fallait faire passer le message « d’arrêter de faire les imbéciles avec cette invention, la bombe atomique, et de commencer à agir raisonnablement ». Devant la surdité des États, l’extra-terrestre fait s’arrêter la terre durant une minute, puis se tourne vers les scientifiques pour qu’ils incitent les politiques à s’entendre.

Pugwash, un mouvement international de scientifiques contre les armes nucléaires

Dans la réalité, nombre de scientifiques, y compris parmi les artisans du projet Manhattan, avaient été assaillis de doutes après les deux explosions nucléaires sur des villes japonaises en août 1945. Mais c’est l’essai nucléaire américain de Castle Bravo en 1954, première bombe H (puissante comme 1000 bombes A d’Hiroshima), qui a déclenché une vraie prise de conscience. En juillet 1955, Russel et Einstein publient un manifeste (de manière posthume pour le second, décédé en avril 1955 quelques jours après l’avoir signé) avec le beau titre « Notice to the World », appelant à cesser le développement, les essais et l’usage de l’arme nucléaire. Ce manifeste se concrétise en 1957 par le lancement du Mouvement international Pugwash (du nom de la petite ville canadienne qui hébergea la première réunion), plus précisément dénommé Pugwash Conferences on Science and World Affairs (pugwash.org). Ce mouvement, avec ses groupes nationaux dans une cinquantaine de pays dont la France (pugwash.fr), obtint le Prix Nobel de la Paix en 1995, partagé avec son fondateur Sir Joseph Rotblat, physicien d’origine polonaise.

Soixante ans plus tard, après de nombreuses avancées dans la voie du désarmement mais de vrais blocages dûs à l’attachement des 9 pays « dotés » à la doctrine de la dissuasion nucléaire, c’est une nouvelle étape vers le désarmement qui s’est ouverte à New York en juillet 2017, avec la promulgation par l’ONU du Traité d’interdiction des armes nucléaires. Les scientifiques se sont associés avec vigueur à la conférence préparatoire, en publiant lors de son ouverture une lettre de soutien signée par 3000 d’entre eux, dont de nombreux Prix Nobel.

Un déclenchement accidentel de frappe nucléaire est possible

Pour eux, comme pour le Mouvement Pugwash, la dissuasion nucléaire est une doctrine obsolète et dangereuse, basée sur un équilibre de la terreur entre les grands pays dotés tandis que les économies émergentes aspirent à rebattre les cartes mondiales, avec un risque de prolifération. Les scientifiques alertent sur les risques présentés par les stocks d’armes nucléaires (plus de 14 000 aujourd’hui, dont 90% entre les Etats-Unis et la Russie et beaucoup prêtes à être déclenchées) et sur la probabilité croissante de déclenchement accidentel ou dû à la mauvaise appréciation – ou la folie – d’un dirigeant. Les menaces cybernétiques ne font qu’augmenter ce risque, rendant la protection des sites d’armes nucléaires et la sûreté des circuits de décision encore plus problématiques. Enfin, sur un plan humanitaire, le risque d’hiver nucléaire résultant d’une attaque pourrait remettre en question toutes les prédictions du nombre de victimes, à court et moyen terme.

C’est donc un vrai soutien basé sur des arguments objectifs qu’une bonne partie de la communauté scientifique apporte au Traité d’interdiction. Celui-ci s’oppose à la doctrine de dissuasion comme à toute menace de frappe nucléaire, qui pourrait bien faire s’arrêter la Terre, ou du moins l’Humanité…

Annick Suzor-Weiner

Professeur émérite à l’Université Paris-Sud, Vice-Présidente de Pugwash-France,

membre du bureau d’IDN (Initiative pour le Désarmement nucléaire).

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