Désarmement nucléaire : la France toujours à la traîne ?

Editorial de Michel Drain dans « la lettre de Justice et Paix« 

Voici un an, Justice et Paix publiait, avec Pax Christi France et l’Institut catholique de Paris, La paix sans la bombe ? En vue d’une réduction concertée de l’arme nucléaire jusqu’à son élimination, il y était proposé de substituer à la dissuasion une approche coopérative de la sécurité internationale.

La situation internationale s’est, depuis, détériorée (conflits et menace terroriste au Moyen-Orient ; tensions entre Occidentaux et Russes sur l’Ukraine) mais il serait désastreux d’en tirer argument pour relancer l’armement nucléaire. Il en résulterait une course aux armements difficile à enrayer et une menace grandissante de prolifération.

Le désarmement nucléaire marque le pas : les accords russo-américains de réduction des armements stratégiques continuent à être appliqués mais sans la perspective de nouvelles diminutions des arsenaux des deux puissances ; aucune discussion n’est engagée sur les armes tactiques, même pour de simples mesures de confiance. Russes et Américains s’accusent de violations de l’accord de 1987 sur l’élimination des armements intermédiaires. La Russie considère que les projets américains de défense anti-missile de frappe rapide à dimension mondiale et d’utilisation militaire de l’espace mettent en cause sa dissuasion. Elle conduit des exercices à dimension nucléaire, alors que les mécanismes de communication de crise avec l’OTAN ne fonctionnent plus.
Tous les pays possesseurs de l’arme nucléaire engagent des programmes de «modernisation » de leurs systèmes, même si, pour les Etats reconnus comme puissances nucléaires par le Traité de non-prolifération (TNP), c’est sur la base
d’un nombre de têtes réduit.

La prochaine Conférence d’examen du TNP (avril-mai 2015) risque d’échouer. Deux questions seront au centre des débats : les mesures de désarmement des  puissances nucléaires et la création d’une zone exempte d’armes de destruction massive au Moyen-Orient.

Dans ce contexte, on doit souhaiter un accord entre l’Iran et les membres permanents du Conseil de sécurité, ainsi que l’Allemagne, sur un encadrement vérifié du programme nucléaire iranien garantissant sa finalité exclusivement pacifique. La légitimité du régime de non-prolifération en serait renforcée.

Le 19 février 2015, le président François Hollande ne s’est pas montré particulièrement préoccupé par les blocages du désarmement. Après avoir tracé un sombre tableau de la situation internationale (risques de prolifération nucléaire, utilisation d’armes chimiques en Syrie, crise ukrainienne, développement de l’« État islamique », attaques informatiques), il a conclu qu’il ne fallait pas « baisser la garde » en matière de dissuasion, sans préciser comment l’arme nucléaire répond à la diversité des menaces évoquées. Il n’a pas non plus clarifié la doctrine du « tir d’avertissement » nucléaire censé marquer la détermination de la France à passer à la riposte stratégique.
Lorsqu’il souligne que « la définition de nos intérêts vitaux ne saurait être limitée à la seule échelle nationale », envisage-t-il le déclenchement d’une bataille nucléaire au coeur du continent européen ?

Il a cependant déclaré « partager l’objectif, à terme, de l’élimination totale des armes nucléaires », mais seulement « lorsque le contexte stratégique le permettra ». Certaines mesures annoncées rejoignent en partie nos propositions : non-emploi de l’arme nucléaire contre un État non nucléaire partie au TNP et respectant ses obligations en matière d’armes de destruction massive, engagement en faveur de l’entrée en vigueur du Traité d’interdiction complète des essais nucléaires, relance des négociations sur l’interdiction de la production de matières fissiles à usage militaire, transparence sur l’armement nucléaire français mais sous une forme limitée et purement déclaratoire.

Ces propositions restent modestes. Des initiatives plus ambitieuses auraient été nécessaires : engagement clair pour un monde sans armes nucléaires, dialogue avec la Russie sur l’armement nucléaire en Europe, malgré les désaccords actuels, ajustement de l’arsenal français aux nécessités strictes de la défense alors que le territoire n’est plus exposé à des menaces comparables à celles de la guerre froide, soutien déterminé au développement de zones exemptes d’arme nucléaire, tout particulièrement au Moyen-Orient, perfectionnement des techniques de contrôle du désarmement, participation aux travaux internationaux sur l’impact humanitaire de l’arme nucléaire.

L’armement nucléaire est trop souvent vu comme un gage de sécurité nationale. Le climat de défiance mutuelle qu’entretient la dissuasion, les dangers du maintien en alerte permanente d’arsenaux toujours considérables, les risques de prolifération montrent au contraire que l’arme nucléaire fait peser une grave menace sur le monde.

Michel Drain

Membre de Justice et Paix 

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