Les imprécations nucléaires proférées par le chef du Kremlin et ses séides pour dissuader les démocraties occidentales de soutenir l’Ukraine ont eu le résultat paradoxal de renverser notre concept de « dissuasion » nucléaire et de faire des « dissuadeurs », que nous voudrions être, des dissuadés. Nous étions censés dissuader tout agresseur, garantir une sécurité absolue et rendre la guerre nucléaire inconcevable grâce à notre force de frappe. Voilà que la guerre nucléaire devient possible et que terrifiés à juste titre par cette possibilité, nous renonçons à invoquer notre capacité à résister au chantage nucléaire, nous mesurons notre soutien à l’Ukraine agressée, de peur d’une escalade nucléaire incontrôlable.
En réalité, l’arme nucléaire révèle son vrai visage celui d’être l’arme des prédateurs. Une arme non pas défensive mais offensive, non pas de dissuasion mais de persuasion et d’emploi potentiel. Elle permet l’agression tout en dissuadant les recours extérieurs. Notre puissance nucléaire nous condamne à l’impuissance stratégique.
Nous voilà piégés par notre propre volonté de puissance. Faire un choix absurde entre le renoncement ou le suicide collectif.
Officiellement nous ne sommes pas en guerre mais les attaques sur nos approvisionnement énergétiques, les cyberattaques, les manœuvres de déstabilisation nous plongent dans la guerre « hybride » pour laquelle l’arme nucléaire est désarmée. Son emploi exige un adversaire clairement désigné, identifié. A cette perte de pertinence stratégique s’ajoute en France une impasse budgétaire. En effet le retour de la guerre de « haute intensité » revendiqué par les plus hautes autorités militaires et gouvernementales nécessite un effort budgétaire substantiel. Alors que le renouvellement de nos systèmes d’armes nucléaires va quasiment doubler leur financement et représenter au minimum un tiers du budget d’investissement d’un budget des armées, certes augmenté mais toujours contraint et limité, comment pouvoir intervenir dans la guerre de haute intensité et affirmer notre souveraineté ?
De plus, l’arme nucléaire est menacée d’obsolescence. Face aux défis de sécurité que représentent les nouveaux espaces stratégiques comme le cyberespace, l’espace extra-atmosphérique, le développement fulgurant des technologies émergentes et les risques globaux comme le dérèglement climatique, l’arme nucléaire qui constitue l’alpha et l’oméga de notre politique de défense ne peut affronter cette nouvelle situation stratégique. Notre crispation sur un outil en voie de péremption nous conduit au déclassement stratégique.
Paradoxalement ce symbole de puissance auquel nous nous accrochons désespérément nous rend invisibles et impuissants et nous a conduit à rejoindre les rangs des supplétifs des Etats-Unis. Ce n’est pas ce que souhaitait le général De Gaulle. Alors que la situation en Ukraine réclame de notre part un engagement déterminé et des systèmes d’armes conventionnels, il est temps de prendre conscience de l’absurdité stratégique dans laquelle nous enferme notre obstination nucléaire. Une pensée figée, sclérosée qui nous condamne à l’impuissance stratégique.