Le prix Nobel de la Paix doit être une invitation à ouvrir le débat

Article de Paul Quilès publié par le Huffington Post du 7 octobre 2017 à propos du prix Nobel de la Paix.

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La reconnaissance internationale accordée par ce prix Nobel est une invitation à ouvrir un débat qui demeure toujours interdit dans notre pays sur la pertinence et l’avenir des armes nucléaires.

Pour celles et ceux qui se battent depuis tant d’années pour l’élimination des armes nucléaires, c’est un bonheur d’apprendre que le comité Nobel norvégien vient de décerner le Prix Nobel de la Paix 2017 à ICAN-International, qui rassemble des centaines d’associations autour du combat pour l’interdiction des armes nucléaires. A travers ICAN, cette distinction honore l’ensemble des associations et des acteurs qui œuvrent dans ce sens et elle reconnaît l’importance de leur action pour rendre le monde plus sûr. Cette coalition a permis de rassembler des soutiens du monde entier et de faire prendre conscience à de plus en plus de citoyens du danger que représente l’arme nucléaire et de la nécessité urgente de les éliminer. Ce prix vient couronner une campagne internationale qui s’est concrétisée en juillet dernier à l’Assemblée générale des Nations Unies par l’adoption d’un traité d’interdiction de l’arme atomique par 122 pays.

C’est avec le même objectif, le même espoir, que j’ai créé Initiatives pour le Désarmement Nucléaire (IDN) il y a quelques années. IDN a vocation à informer nos concitoyens de l’obsolescence de l’arme nucléaire, des dangers qu’elle représente et de son coût réel. Notre association agit également pour mobiliser citoyens, associations, médias et politiques sur un sujet dont la gravité est encore trop souvent ignorée. Elle est enfin force de propositions concrètes sur tous les aspects du désarmement nucléaire. IDN ne réclame pas un désarmement unilatéral, inconditionnel et immédiat, mais un désarmement multilatéral négocié, progressif et contrôlé.

Notre action est soutenue par d’importantes personnalités françaises [1]et, au niveau international, par d’éminentes personnalités [2] . Anciens chefs d’Etat, ministres, militaires, scientifiques, ils nous disent le danger qu’il y a à maintenir nos arsenaux nucléaires et le risque que l’arme atomique soit utilisée. Loin d’être les naïfs irresponsables, si souvent caricaturés par les tenants du lobby militaro-industriel, si bien décrit par l’ancien Président des Etats-Unis, le général Eisenhower, ils ont forgé leur conviction par leur exercice de responsabilités majeures.

Si ce prix Nobel honore ICAN International ainsi que celles et ceux qui agissent dans le même sens, c’est également un cruel désaveu pour les pays qui, comme la France, pratiquent la politique de l’autruche. Notre pays semble oublier qu’il est signataire du Traité de Non-Prolifération, dont l’article VI stipule qu’il « s’engage à poursuivre de bonne foi des négociations sur des mesures efficaces relatives à la cessation de la course aux armements nucléaires à une date rapprochée et au désarmement nucléaire, et sur un traité de désarmement général et complet sous un contrôle international strict et efficace« .

Ce traité de désarmement, 122 pays ont décidé de l’adopter cette année, ce qui permettra vraisemblablement son entrée en vigueur dès 2018, pour les cinquante ans du Traité de Non-Prolifération. Malheureusement, ni la France, ni aucune des huit autres puissances nucléaires n’a daigné participer aux discussions à l’ONU pour un monde enfin débarrassé des armes atomiques, et s’emmure dans un déni coupable sur le danger de son armement nucléaire. Cette distinction est donc une condamnation de l’inaction des puissances nucléaires qui préfèrent l’apparent confort de l’immobilisme et la fausse impression de sécurité à la prise en compte de la réalité de la menace et à l’audace du changement.

Comme l’a justement rappelé la présidente du Comité Nobel, « nous vivons dans un monde où le risque que les armes nucléaires soient utilisées est plus élevé qu’il ne l’a jamais été depuis longtemps« . L’actualité et sa succession de déclarations irresponsables au sujet de la Corée du Nord ou de l’Iran nous interpellent sur l’urgence du désarmement nucléaire, alors que certains Etats parlent de ces armes comme d’une solution et non d’un problème. Car non seulement la possession d’armes nucléaires est incapable de répondre aux défis de la sécurité internationale à venir, qui ne ressembleront pas aux conflits de la Guerre froide, mais elle favorise la prolifération nucléaire. Comment ne pas être étonné par exemple lorsque l’on entend le même discours à Washington, à Paris et à Pyong Yang sur le nucléaire « garantie ultime de la sécurité du pays »!

Alors que la responsabilité qu’impose la détention d’un arsenal nucléaire exigerait que la France entame dès maintenant des négociations sérieuses avec les autres puissances nucléaires à propos du désarmement, notre pays refuse de voir la réalité soulignée récemment par deux tiers des Etats représentés à l’ONU. Cette réalité, c’est que les armes aujourd’hui considérées comme positives et efficaces pour dissuader toute attaque ennemie, sont en réalité un danger pour l’humanité. La France, qui pourrait jouer un rôle diplomatique actif et être le porte-drapeau du désarmement nucléaire, traite pourtant avec mépris cette coalition d’Etats qui ont compris les enjeux de la paix du XXIe siècle.

Contrairement aux engagements auxquels elle a souscrit en signant le TNP, la France n’a pas entrepris d’avancées significatives vers le désarmement depuis l’arrêt des essais nucléaires il y a vingt ans de cela. Profitant d’un désintérêt de l’opinion publique et des médias français savamment entretenu, les responsables politiques, à de trop rares exceptions, refusent de couper les amarres avec le monde ancien. Pire, on se prépare à « moderniser » notre arsenal nucléaire en doublant les crédits qui lui sont affectés La reconnaissance internationale accordée par ce prix Nobel est une invitation à ouvrir un débat qui demeure toujours interdit dans notre pays sur la pertinence et l’avenir des armes nucléaires.

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[1] Nicolas Hulot, ministre d’Etat, ministre de la Transition écologique et solidaire, Hervé Morin, Président de la région Normandie et ancien ministre de la Défense, Cédric Villani, député, directeur de l’Institut Henri-Poincaré et médaille Fields 2010, Bernard Norlain, Général d’armée aérienne et vice-président d’IDN, Yannick Jadot, député européen, Georges Le Guelte, ancien secrétaire du Conseil des Gouverneurs de l’AIEA (Agence Internationale de l’Energie Atomique), Rony Brauman, ancien président de MSF, enseignant et essayiste, Annick Suzor-Weiner, présidente de Pugwash France, Mgr Marc Stenger, évêque de Troyes et président de Pax Christi-France…

[2] Mikhaïl Gorbatchev, ancien Président d’URSS, Joschka Fischer, ancien ministre des Affaires étrangères allemand, Lakhdar Brahimi, ancien ministre des Affaires Etrangères algérien et ancien médiateur de l’ONU sur le conflit syrien, Henry Kissinger et George Schultz, anciens Secrétaires d’Etat américains, William Perry, ancien secrétaire à la Défense américain, Zbigniew Brzezinski, ancien conseiller pour la sécurité nationale américain, Mohamed El Baradei, directeur de l’AIEA… et bien d’autres ministres, généraux, amiraux et chefs d’états-majors.

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