Le scénario de l’hiver nucléaire est possible

hiver nucléaireA force d’avoir été rabâché, le risque de destruction de l’humanité paraît désuet. Il est urgent de le rappeler aux petits-enfants de l’atome, souligne dans une tribune au « Monde » le chercheur Barthélémy Courmont.

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LE MONDE IDEES | • Mis à jour le |

Par Barthélémy Courmont (Maître de conférences à l’Université catholique de Lille et directeur de recherche à l’Institut de relations internationales et stratégiques).

Depuis l’utilisation de la bombe atomique à Hiroshima le 6 août 1945, nous vivons dans l’âge nucléaire. Si cette arme n’a servi qu’à deux reprises, elle symbolise depuis sept décennies une réalité que ses concepteurs, Robert Oppenheimer en tête, avaient constatée avec effroi : la capacité offerte à l’homme d’assurer sa propre destruction. Des efforts d’Albert Einstein visant à en assurer un contrôle international à la mise en place de traités de non-prolifération et de politiques de dissuasion devant en limiter les risques d’utilisation, intellectuels et politiques se sont emparés des débats nucléaires avec, constamment, cette épée de Damoclès suspendue au-dessus de leur tête.

Cette conscience, alimentée par les risques d’une destruction mutuelle assurée (doctrine américaine développée au début des années 1960), fut à l’origine d’accords multiples et d’un dialogue permanent afin d’éviter les escalades. Elle a valu à Barack Obama le prix Nobel de la paix en 2009 et a récemment donné lieu à une résolution de l’Assemblée générale de l’ONU appelant au démantèlement complet des armes nucléaires. De leur côté, Albert Camus, Günther Anders, Kenzaburo Oé, Marguerite Duras, Elsa Morante et d’autres se sont évertués à mettre en garde contre les risques apocalyptiques, sensibilisant les ­ « enfants de la bombe », nés après 1945.

Entretenir une mémoire collective

Les artistes se sont aussi inspirés de la bombe atomique et de sa capacité destructrice. La littérature des cicatrices, qui évoque les ouvrages abordant la question des survivants d’Hiroshima et de Nagasaki, les hibakusha, a bercé des générations de Japonais, tandis que des productions comme Godzilla et de nombreux films catastrophes puisèrent, dès les années 1950, dans l’imaginaire collectif pour décrire l’apocalypse. Dans les arts aussi, au Japon et ailleurs, il y a un avant et un après 1945.

Au début des années 1980, plusieurs scientifiques, parmi lesquels l’Américain Carl Sagan ou le Soviétique Vladimir ­Alexandrov, ont, pour leur part, publié des travaux sur l’hiver nucléaire, phénomène climatique hypothétique de baisse des températures consécutif à l’utilisation répétée d’armes nucléaires, et sur la formation de nuages de poussières recouvrant de vastes régions et pouvant provoquer des catastrophes écologiques à grande échelle, voire la disparition des espèces, et, à très grande échelle, de l’humanité. Si cette théorie fait débat, il est en revanche indiscutable qu’une guerre nucléaire aurait des conséquences catastrophiques sur l’environnement, bien au-delà des zones de conflit, et que le scénario de l’hiver nucléaire est techniquement possible.

D’ailleurs, cette théorie fut enrichie par les travaux, considérés comme indiscutables, sur l’hiver volcanique, qui en mesurent les effets à moindre échelle, ainsi que par les études sur les conséquences des grands incendies que pourraient provoquer des explosions nucléaires en chaîne, comme renforcer les risques de formation de nuages absorbant les rayons du soleil. De fait, l’hiver nucléaire conserve toute sa pertinence, même si l’attention qu’on lui prête s’est réduite à la faveur de l’éloignement des risques de guerre nucléaire.

Banalisation

Aussi est-il étonnant, voire inquiétant, de constater à quel point cette arme, qualifiée hier de « suprême », comme pour mieux justifier qu’elle ne doit pas être utilisée, semble tomber dans la banalisation. Et la banalisation est le chemin qui peut conduire à la fin d’un tabou, celui de l’utilisation. Le feu inoubliable fait référence au feu nucléaire, mais plus encore au besoin d’entretenir une mémoire collective afin d’en pointer du doigt la singularité. Si les enfants de la bombe ont porté ce lourd héritage et appris à vivre avec une menace permanente, qu’en est-il des petits-enfants de l’atome, pour qui le risque de destruction de l’humanité peut paraître désuet, à force d’avoir été rabâché pendant des décennies ?

Ce feu inoubliable, que les générations qui ont grandi dans les espoirs d’un monde post-guerre froide découvrent, menace de s’éteindre avec l’inattention de dirigeants qui manquent à leur devoir, d’intellectuels occupés à d’autres débats, d’artistes qui voient désormais dans les missiles et ogives des armes comme les autres, et d’opinions publiques qui ont perdu la mémoire. Aussi est-il urgent, dans un contexte troublé et marqué par des risques de prolifération et de renforcement des capacités nucléaires, de le raviver.

Barthélémy Courmont a publié « Mémoires d’un champignon. Penser Hiroshima » (Lemieux Editeur, 201)

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