Les ambiguïtés de l’OTAN

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         Tribune de Paul Quilès , ancien Ministre de la défense, Président d’IDN,

 publiée sur le site du Monde.fr 

            « On ne sort de l’ambiguïté qu’à ses dépens », disait le Cardinal de Retz. C’est probablement le risque que ne veulent pas courir les responsables des gouvernements européens de l’Alliance atlantique.

      Il suffit de se référer aux déclarations confuses, contradictoires ou rédigées dans la plus pure tradition de la langue de bois qui émaillent leurs grands rendez-vous pour prendre la mesure de leur goût pour l’ambiguïté lorsqu’ils se retrouvent en présence de leur allié américain. Ils ont ainsi décidé en 2016 à Varsovie de déployer quatre bataillons de mille hommes chacun aux frontières de la Russie, en principe pour dissuader une attaque russe. Mais on a envie de dire que c’est trop ou trop peu. Trop pour engager avec la Russie le dialogue proposé par l’Alliance lors de ce même sommet de Varsovie. Trop peu s’il s’agit d’arrêter le « déferlement » annoncé des chars russes. À moins qu’il ne s’agisse que de décourager des « menaces hybrides », c’est à dire de se préparer à combattre des manifestations pro-russes. Mais l’essentiel n’était-il pas de donner l’impression qu’on « faisait quelque chose » contre les démonstrations de force du président Poutine ?

      La même remarque peut être faite à propos de la posture de dissuasion et de défense adoptée en 2012 à Chicago. Il y est dit que l’Alliance restera une « alliance nucléaire » aussi longtemps qu’existeront des armes nucléaires. Veut-on dire que la dissuasion nucléaire est pérenne, ou accepte-t-on la perspective d’un monde sans armes nucléaires comme le promettait alors le président Obama ? Dans le même document, l’Alliance s’affirme « déterminée à maintenir une combinaison appropriée de capacités nucléaires, conventionnelles et de défense antimissile« . Mais aucune précision n’est donnée sur le poids respectif des différents éléments de cette « combinaison appropriée », par nature fonction des circonstances.

      Ce n’est pas sur la base de ces déclarations que les Européens pourront mener à bien leur projet de relance de la politique de sécurité et de défense commune (PSDC). Comme je tente de l’expliquer depuis bien longtemps, il ne saurait y avoir de véritable Europe de la défense sans rédaction d’un Livre blanc, définissant les objectifs politiques communs et les moyens à mettre en œuvre pour les atteindre. La stratégie globale élaborée par la Haute Représentante pour la PESC, Federica Mogherini, donne des éléments d’une « autonomie stratégique » européenne, mais elle n’en tire pas les conséquences concrètes en termes de politique militaire, de politique industrielle et de politique de sécurité orientée vers la réduction des tensions et le désarmement, au premier chef nucléaire. Faute de ce Livre blanc, les Européens seront condamnés à inscrire leur défense dans le cadre d’une doctrine d’abord conçue en fonction des intérêts américains ou bien ils juxtaposeront les mesures partielles, souvent prises au niveau national dans l’urgence d’un événement qu’on n’avait pas anticipé[1]

      La brève visite de Donald Trump au siège de l’OTAN à Bruxelles ne changera pas cette pratique de l’ambiguïté. Les désaccords seront masqués par des déclarations publiques d’unité et de fermeté face à la Russie et au terrorisme. Ils seront si heureux d’entendre que le président américain ne considère plus leur alliance comme « obsolète » qu’ils risquent d’accepter, au moins en paroles, ses demandes les moins raisonnables : porter les budgets de la défense à 2 % du PIB, ce qui représente pour la France 44,5 milliards d’euros et pour l’Allemagne 63 ; engager l’OTAN dans la lutte contre le terrorisme, alors que cette lutte n’est pas principalement militaire mais policière et judiciaire.

      Comment seront utilisées de telles augmentations de crédits militaires? À financer un système de défense antimissile orienté manifestement vers la Russie et qui risque d’accélérer la course aux armements nucléaires ? À financer la modernisation des armes tactiques américaines[2] installées en Europe et l’achat des appareils américains F35 destinés à les emporter ?

      Plus inquiétant encore : dans son discours en Arabie Saoudite, Donald Trump vient de citer l’Iran parmi les pays à combattre pour éradiquer le terrorisme. L’Europe devra-t-elle accepter, au nom de cette lutte, de remettre en cause l’accord de juillet 2015, jusqu’à présent pleinement respecté par l’Iran ? Doit-on risquer une nouvelle crise de prolifération, alors que le défi du programme nucléaire coréen requiert d’urgence une solution politique avec le soutien de toutes les puissances d’Asie du nord-est et au premier chef de la Chine ?

      Il faut refuser la logique d’affrontement prônée par Donald Trump. La stabilité internationale ne pourra être garantie que par le respect loyal des accords de non-prolifération et de désarmement signés.

      Quant aux dirigeants de l’Alliance atlantique, ils semblent croire que le retour à une politique d’armement nucléaire renforcera leur sécurité. Il n’en est pourtant rien, comme l’ont compris les 132 pays qui négocient actuellement à l’ONU un traité d’interdiction universelle et vérifiée de l’arme nucléaire. Jusqu’à présent, les pays nucléaires ou membres de l’OTAN[3], alliance qui se proclame nucléaire, ont refusé de participer à cette négociation. Pourtant, dans le concept stratégique de l’OTAN de 2010, toujours en vigueur, les pays de l’Alliance se déclaraient « déterminés à tendre vers un monde plus sûr pour tous et à créer les conditions d’un monde sans armes nucléaires, conformément aux objectifs du Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires« .

      Désarmement, dialogue, sécurité commune, telles sont les clefs d’un retour de la confiance en Europe. Je participerai dans les prochains jours à une réunion d’un groupe de travail de 25 personnalités européennes, anciens ministres de la défense ou des affaires étrangères, diplomates, militaires de haut rang pour y faire des propositions en ce sens.

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[1] Par exemple : crise du Mali, crise des réfugiés…

[2] 180 B-61, positionnées dans 4 pays européens et en Turquie.

[3] A l’exception des Pays-Bas.

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Une réponse

  1. Pour toute étude de la situation militaire en EUROPE, il est nécessaire de se référer à l’Acte Fondateur sur les Relations Mutuelles, la Coopération et la Sécurité que la RUSSIE et l’OTAN ont signé à PARIS le 27 mai 1997 (avec renoncement définitif à la dette russe) ainsi qu’à la Déclaration intitulée :RUSSIE-OTAN, une nouvelle qualité adoptée le 28 mai 2002 au Sommet OTAN RUSSIE de ROME avec un Conseil OTAN-RUSSIE. Ces testes connus de l’OTAN ont été rappelés par un courrier du Ministre des Affaires Etrangères russe le 26 mai 2017 au Sommet de l’OTAN de BRUXELLES pour application à leurs dates anniversaires. Hasard de l’histoire, le même jour disparaissait le géopoliticien américain Z.BREZINSKI fort influent sur les relations de l’Occident avec la RUSSIE