Argumentaire sur la dissuasion nucléaire

Un de nos lecteurs a réagi longuement à un de nos récents articles. Nous l’en remercions. Nous avons souhaité lui répondre de façon approfondie en reprenant chacun de ses arguments.

Le lecteur

Ce sujet ne peut pas être traité rapidement. La plupart des responsables politiques français ne sont pas favorables à l’abandon de la force française de dissuasion tant le monde est aujourd’hui placé en état de dangerosité extrême !

Réponse IDN

Les dangers du monde sont réels mais, pour la plupart (terrorisme, effondrement de certains États comme la Syrie, l’Irak ou la Libye, cyber-menaces…) ils ne relèvent pas de la dissuasion. Quant aux « menaces de la force » qui peuvent émaner de puissances comme la Russie ou la Chine, il s’agit d’abord de les prévenir : le désarmement nucléaire et conventionnel est un bon outil pour rétablir la confiance et contenir la menace. L’alternative de la dissuasion, éventuellement couplée avec une relance de l’armement conventionnel, n’apporterait pas plus mais moins de sécurité en raison des obstacles qu’elle met au dialogue et de la course aux armements qu’elle entraîne.

Le lecteur

Quand bien même tous les Pays du monde prendraient l’engagement inscrit dans la pétition, personne ne sera jamais capable de vérifier que chacun respecte sa signature. Autant il est facile de contrôler le respect de l’engagement à respecter le traité d’interdiction des essais nucléaires, autant il est impossible de contrôler l’absence de production et de stockage d’arme atomiques. Nous ferions sans aucun doute un marché de dupe.

Réponse IDN

Le contrôle de l’absence d’usage militaire de l’énergie nucléaire est pourtant à la base du traité de non-prolifération. Il s’applique à la quasi-totalité des États, hormis les cinq reconnus comme puissances nucléaires et les puissances nucléaires de fait que sont Israël, l’Inde, le Pakistan et la Corée du Nord. Aucun obstacle technique n’empêche l’extension de ce régime à tous les États. Il faudrait cependant que les puissances nucléaires acceptent de gérer en commun le contrôle de sa bonne application. Cela ne pourra pas naturellement se faire du jour au lendemain mais au terme d’un processus dont les étapes pourraient être : l’entrée en vigueur du traité d’interdiction complète des essais nucléaires, l’élaboration d’un traité d’interdiction de la production de matière fissile à usage militaire, la poursuite du processus de réduction contrôlée et équilibrée des armements nucléaires américains et russes auquel les autres puissances nucléaires devront, à partir d’un certain seuil s’associer, la réduction contrôlée du degré d’alerte des armes nucléaires, la confirmation de l’engagement russe et américain d’éliminer les missiles terrestres nucléaires de moyenne portée et l’universalisation de cet engagement, le retrait contrôlé des armements nucléaires tactiques américains d’Europe et leur stockage non opérationnel sur le territoire américain et en des endroits du territoire russe éloignés des frontières, l’extension des zones libres d’armes de destruction massive, notamment au Moyen-Orient, etc. Il est en outre nécessaire d’intégrer dès à présent dans les doctrines de défense des puissances nucléaires, y compris la France, chacune de ces mesures dans la perspective d’un monde sans armes nucléaires.

Le lecteur

La dissuasion nucléaire française se voulait juste suffisante pour garantir la protection de nos intérêts vitaux face à des velléités de nous détruire ou de nous asservir de la part de plus fort que nous. Ceci est toujours vrai malheureusement car les dangers ne font que croître. Pis, les dangers se sont accrus car en plus de devoir faire face à plus fort que nous nous devons aussi être capables de riposter aux fous qui prolifèrent aujourd’hui.

Réponse IDN

Depuis la fin de la Guerre froide, aucune puissance n’a la volonté de détruire ou d’asservir la France ou même ses alliés. Il faut profiter de cette conjoncture pour consolider notre sécurité, notamment grâce au désarmement. Quant aux « fous proliférants », la façon la plus efficace d’y faire face est de mobiliser la communauté internationale en vue d’un respect strict du traité de non-prolifération, ce qui implique que nous respections nous-mêmes les engagements de désarmement que nous avons pris dans le cadre de ce traité. L’accord avec l’Iran montre qu’il est possible d’empêcher par la négociation un État perturbateur de se doter de l’arme nucléaire. Par ailleurs la notion de « suffisance » invoquée pour justifier l’armement nucléaire français est dépourvue de portée pratique puisqu’elle autorise la « modernisation » continue des armes (TNO, TNA) et de leurs vecteurs (SNLE et leurs missiles M51 dans des versions constamment perfectionnées, ASMP-A dont le successeur est déjà à l’étude). Alors que la gamme complète des armes nucléaires françaises vient d’être renouvelée, des programmes sont mis en place pour leur remplacement dès l’horizon 2030.

Le lecteur

N’imaginons pas que ceux qui endoctrinent et arment les fous ont eux-mêmes envie de périr en martyrs dans le feu nucléaire. Eux et leurs proches peuvent se mettre à l’abri d’armes conventionnelles mais ils ne le pourraient pas des armes nucléaires. C’est bien pourquoi cela marche jusqu’à présent et qu’il n’y a pas eu de conflits mondiaux mettant directement en danger mortel des grands pays détenteurs de l’arme nucléaire. Se priver de notre dissuasion serait se mettre à la merci de pays ou bandes armées détenteurs soit du nombre soit d’armes de destruction massive autres que thermonucléaires ! Et elles sont nombreuses ces armes et presque à la portée de tous : gaz ou aérosols divers et variés (dont les célèbres VX ou sarin) ; armes biologiques (tel l’anthrax) ; produits chimiques dans l’eau de consommation (cyanures par exemple) ou dispersés au sol (dispersion de déchets radioactifs par exemple, y compris en provenance du secteur médical).

Réponse IDN

Rien ne prouve que l’arme nucléaire a protégé ses détenteurs des conflits les mettant en danger mortel. L’URSS et le Pacte de Varsovie se sont effondrés malgré leur surarmement nucléaire en raison de l’aspiration des peuples concernés à la liberté. Inversement, le « coup de Prague » et la mainmise soviétique sur l’Europe centrale ont pu s’accomplir alors que les États-Unis avaient l’arme nucléaire mais non l’URSS. Dans ces deux transformations radicales de la situation stratégique de l’Europe, l’arme nucléaire n’a joué pratiquement aucun rôle. Quant aux autres armes de destruction massive, à supposer qu’elles soient employables à grande échelle, les dispositifs actuels de désarmement peuvent prévenir efficacement leur emploi ; des usages limités sont certes possibles, comme le montre le cas syrien, mais la dissuasion nucléaire n’est pas pertinente pour les empêcher ; personne n’a songé dans le cas syrien à déclencher un tir nucléaire, même de faible puissance, qui n’aurait fait qu’aggraver de manière disproportionnée la crise humanitaire.

Le lecteur

Devant ces réalités nous devons protéger nos démocraties et nos peuples en assurant tout agresseur qu’il serait puni au centuple dans le cas où il mettrait nos vies ou nos sociétés en état de disparition criminelle ! On pourrait appeler cela le système de la terreur mais il est prouvé depuis 1945 que ça marche. Hélas nous ne pouvons pas nous permettre de vivre en lapins au milieu de loups. Il n’existe ni mort propre ni guerre propre. Il n’est pas plus consolant de voir un mort égorgé à coup de machette qu’un autre brûlé par des rayonnements ionisants. Il vaut donc mieux se battre pour éviter les guerres (et la dissuasion nucléaire y contribue), que seulement combattre une guerre atomique sous prétexte qu’elle serait seule à être sale.

Réponse IDN

Le système de dissuasion nucléaire n’existe pas depuis 1945 mais depuis le début des années 1950 pour les États-Unis. Ses effets sont discutables : il n’a peut-être créé que l’illusion de la sécurité : les Soviétiques n’ont sans doute jamais envisagé d’offensive massive et non provoquée en Europe ; en revanche ils ont eu recours, parfois avec succès à des stratégies de contournement de la dissuasion, par exemple au Vietnam. Le système était en outre extrêmement dangereux. D’après les informations aujourd’hui disponibles, le monde est passé à côté de la catastrophe au moment de la crise de Cuba.

Le lecteur

Je suis comme beaucoup probablement. S’il était possible de construire et garantir un monde sans conflits et sans armes, avec une autorité suprême infaillible, je signe des deux mains ; mais je me refuserai toujours à me priver des moyens de défendre ma famille et le modèle de société auquel je suis attaché.

Réponse IDN

Il ne s’agit pas de construire et garantir un monde sans conflits et sans armes mais un monde sans arme nucléaire. L’arme nucléaire n’est en effet pas adaptée aux menaces actuelles ; elle peut tout au plus, de manière provisoire, garantir une sorte d’équilibre incertain et terriblement dangereux avec des pays eux-mêmes dotés de cette arme. Il n’en reste pas moins qu’une entente vérifiée sur l’élimination progressive et contrôlée de l’arme nucléaire dans un cadre multilatéral représenterait, pour les pays possesseurs de cette arme, une garantie de sécurité à la fois beaucoup plus sûre et moins coûteuse que l’actuelle rivalité permanente dans leur capacité de destruction mutuelle.

partagez cet article avec vos amis

IDN-France

IDN-France

IDN-France

IDN-France

Laissez un commentaire

3 réponses

  1. J’ajouterai une autre interrogation. Je suis président de la République Française et un fou a lancé une bombe nucléaire sur Lyon ou Marseille, faisant un million de morts!
    Est-ce que moi ce président, je vais commander de tuer un million ou dix de personnes en représailles?
    Une solution, c’est qu’il y ait effectivement une autorité mondiale, dotée d’une police surpuissante, chargée d’arrêter tout dirigeant, où qu’ils soient, coupable de mesures injustes pour une partie de la population ou exécutant une politique qui dépasse des limites clairement publiées.
    Il faut progressivement que les comportements des dirigeants soient validés par la communauté internationale, car nous sommes tous interdépendants. C’est assez clair maintenant. ET qu’il n’y est que cette autorité qui dispose d’armement et de force.
    En contre partie, ou en appui, il faut construire des solidarités publiées pour que des états sans ressources ou incapables de nourrir, d’éduquer ou soigner leur population soient aidés quitte à bousculer la souveraineté nationale.
    Evidemment à faire avec tact mais dans un cadre publié et connu à l’avance.
    Evidemment le sujet est la reconversion de l’écosystème militaire: industrie, armées.
    Ce devrait être un sujet d’une AG de l’ONU. Et la France, l’Europe, en montrant leurs cicatrices devrait porter ce projet. A La prochaine AG?

    1. Bonjour,
      La solution est dans la construction d’une s@écurité internationale négociée de manière multilatérale à l’ONU et garantie par l’ONU.
      Je crois voir que votre adresse mail indique que vous seriez au Modem : quelle est la position du MODEM sur ces sujets ?
      Contact@idn-france.org
      Bien cordialement,
      Patrick Debono

      1. Bonjour,

        Je repasse un peu par hasard par là.
        Et bien, comme partout on se le demande. A priori c’est pour. Mais c’est la position de François Bayrou.
        Et il est très difficile de susciter le débat.
        Selon votre remarque nous sommes sur la même longueur d’onde.
        Je suis revenu sur cet article à la suite du communiqué d’IDN sur le budget de 295 Md€ planifié.
        Je suis dans le même sens de pensée: il faut moins d’avions hors de prix, plus de renseignement « automatique » et de terrain et dénoncé des agissements à risques (base de l’art de la guerre).
        Est-ce que si le monde avait su que les Russes envahiraient l’Afganisthan, l’auraient-ils faits?
        Il faut poursuivre les gouvernants qui déclenchent des guerres sans résolution de l’ONU: clairement Mr Bush Junior, voir Poutine, même s’il a été plus malin en n’apparaissant pas en première ligne pour l’Ukraine et la Crimée.
        En même temps, il faut convaincre les Russes, par exemple, qu’ils n’ont rien à redouter de l’Europe, et s’agissant de l’Ukraine il faut les mettre dans le circuit. Des amis ayant vécus la bas disent que Kiev est considérée comme la mère patrie de la Russie;
        Tout cela pour dire qu’il faut une diplomatie innovante, diplomate: on met tout sur la table. C’est fini ces manoeuvres dans l’ombre à l’ancienne. Tout ce sait. Arrêtons les secrets inutiles.
        Je verrai bien deux initiatives françaises (on ne se refait pas universalité toujours 😉 )
        – La France cède sa place de membre permanent du Conseil de l’ONU à l’Europe (ça pourrait booster la politique commune)
        – En AG de l’ONU, résolution que toutes les armées des états membres passent sous contrôle de l’ONU. C’est l’ONU qui décide qui n’attaque pas qui! Et on entreprend un désarmement général!
        ON transforme les armées en organisme de formation professionnelle, re socialisation par l’effort, l’intervention sur des tâches de sauvetage: tremblements de terre, travaux d’infrastructure dans les pays en impéritie ou sans ressource. Etc , etc.
        Ceci n’engage que moi 🙂
        A débattre.

        Cordialement,
        François Pelletier