Arabie Saoudite : le risque nucléaire ?

Alors que l’Arabie Saoudite pose les fondations de son programme nucléaire civil, le risque de prolifération nucléaire par Riyad inquiète la communauté internationale. La rivalité avec l’Iran ainsi qu’un certain nombre d’indicateurs techniques suspects laissent à penser que l’Arabie Saoudite pourrait être tentée par l’arme nucléaire. 

Quelques mois à peine après l’annonce par l’Arabie Saoudite du lancement d’un programme nucléaire civil, le Royaume pose les fondations de son premier réacteur nucléaire. Début avril, l’agence de presse Bloomberg News dévoilait les images satellites d’un premier réacteur nucléaire de type expérimental en construction. Les photos montrent ainsi « le silo contenant la matière fissile, dont la construction est sur le point d’être terminée sur le site de recherche de la Cité du roi Abdelaziz pour la science et la technologie, à Riyad ».

L’Arabie Saoudite, qui compte se doter de 16 réacteurs nucléaires au cours des vingt prochaines années, juge l’atome comme une solution indispensable au développement du pays. Le Royaume cherche en effet à réduire sa dépendance énergétique au pétrole. Et, si le projet de développement des énergies renouvelables ne soulève pas de questions, celui du nucléaire inquiète au sein d’une région instable.

La variable iranienne.

Les inquiétudes quant à un potentiel programme nucléaire militaire saoudien sont à analyser en lien avec sa perception de la menace extérieure, de sa politique intérieure et de sa place dans la région. Le désir saoudien d’un programme nucléaire civil ne peut pas être séparé de la rivalité avec l’Iran et de son programme nucléaire. Si l’Iran ne représente pas une menace directe pour le territoire saoudien, les deux États sont adversaires dans la quête incessante du rôle de leadership dans le Golfe Persique. La possession de l’arme nucléaire par l’Iran permettrait au régime chiite de prendre l’avantage pour obtenir de l’influence dans les États voisins déchirés par les conflits, en particulier face à l’incertitude apparente des garanties de sécurité américaines.

L’acquisition d’une force de dissuasion compensatoire par Riyad est une certitude si l’Iran franchit le seuil nucléaire. À plusieurs reprises, le Royaume a laissé entendre qu’il envisagerait de produire des armes nucléaires s’il se trouvait cerné par des arsenaux atomiques iranien et israélien. En mars 2018, le prince héritier Mohammed ben Salmane déclarait que « l’Arabie saoudite n’entend pas se doter de la bombe nucléaire. Mais il n’y a aucun doute que, si l’Iran développe une bombe nucléaire, nous en ferons autant aussi vite que possible ».

Des indicateurs techniques suspects.

Au-delà des déclarations d’intention de la part de Riyad, d’autres indicateurs techniques peuvent être considérés comme suspects. C’est le cas par exemple de l’achat par Riyad, au milieu des années 1980, de missiles CSS-2 à la Chine. Ces missiles de moyenne portée (3500km maximum) ont été conçus pour porter des têtes nucléaires. Une nouvelle usine de moteurs-fusées sur une base de missiles à al-Watah alimente également les craintes de prolifération nucléaire. Riyad est aussi accusé d’avoir financé l’obtention par le Pakistan d’armes nucléaires dans les années 1980.

L’Arabie Saoudite refuse également l’accès à son territoire à l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), alors que cette dernière a demandé à la monarchie wahhabite d’apporter des garanties à propos de l’usage pacifique de ses installations civiles. En vertu du Protocole relatif aux petites quantités (SQP, Small quantities Protocol) signé en 2005, Riyad était initialement exempté des inspections. L’Arabie Saoudite a refusé de signer la version modifiée du Protocole, prévoyant des inspections pour dissuader des États non nucléaires d’acquérir secrètement du matériel.

De plus, l’Arabie Saoudite a refusé la signature d’un accord de non-prolifération nucléaire de type 123 avec les États-Unis, en vertu de la loi de 1954 sur l’énergie atomique qui interdit aux États-Unis de transférer leur savoir-faire nucléaire vers des pays tiers sans garantie d’usage pacifique. Un tel accord prévoyait la fourniture de combustible à Riyad par Washington sur une période de 10 à 15 ans si l’Arabie Saoudite renonçait à enrichir de l’uranium. Une demande refusée par Riyad qui désire enrichir son propre uranium qu’elle possède en sous-sol, s’appuyant sur le droit à l’enrichissement garanti par le Traité de non-prolifération nucléaire (TNP). Les États-Unis ont autorisé sept entreprises américaines à partager certaines technologies de l’énergie nucléaire avec l’Arabie Saoudite sans accord nucléaire.

Un risque, vraiment ?

Le risque de prolifération nucléaire par l’Arabie Saoudite dans un futur proche est cependant à relativiser. Riyad ne possède à l’heure actuelle ni les ressources matérielles, ni les ressources technologiques, ni les compétences humaines nécessaires à une telle entreprise. Le premier réacteur, actuellement en construction, sera de petite taille. Il n’aura qu’un but de recherche et développement pour former les scientifiques saoudiens dans le domaine du nucléaire énergétique et médical.

L’une des craintes est l’achat d’une technologie d’armement « clé en main » au Pakistan ou que celui-ci offre une garantie dissuasive à l’Arabie Saoudite en déployant ses propres systèmes d’armes nucléaires sur le territoire saoudien. Un tel scénario est peu probable : le Pakistan hésitera à transférer sa technologie nucléaire de crainte de contrarier les États-Unis et de perdre son statut dérogatoire au Traité de non-prolifération. Islamabad prendrait aussi le risque de s’enliser dans une guerre froide arabo-iranienne et de voir converger New Delhi et Téhéran.

Le développement d’un programme nucléaire militaire entraînerait aussi un préjudice normatif et juridique pour Riyad. L’Arabie Saoudite est en effet un État partie au TNP depuis 1988, ce qui lui interdit formellement de développer des armes nucléaires. Alliée des États-Unis, Riyad peut compter sur les garanties de sécurité américaine comme moyen de dissuasion de l’agression extérieure. Et, alors que le pays possède des relations économiques avec presque toutes les grandes puissances mondiales – États-Unis, Chine, Russie, Japon, Corée du Sud, Allemagne ou encore France – l’acquisition de l’arme nucléaire est considérée comme un élément instable peu attrayant pour les investisseurs étrangers. Or, le pays n’est pas autosuffisant en matière économique.

La nécessaire sauvegarde de l’accord nucléaire iranien.

Il n’existe aucune preuve crédible que l’Arabie Saoudite n’ait jamais sérieusement mis en œuvre un programme d’armes nucléaires. Riyad a de plus apporté son soutien à plusieurs reprises à la création d’une zone exempte d’armes de destruction massive au Moyen-Orient. L’Arabie Saoudite avait aussi publiquement soutenu la signature du Plan d’Action Global Conjoint (JCPOA) garantissant l’usage pacifique du programme nucléaire iranien.

L’Iran est en effet un modèle utile à étudier. Le JCPOA a fermé toutes les voies possibles au développement d’une arme nucléaire iranienne. Un système d’inspection approfondi hautement intrusif – que les Saoudiens ont refusé sur leur sol – a été mis en place, de même que des restrictions strictes à l’enrichissement d’uranium et une interdiction de retraitement du combustible nucléaire. Depuis toujours, l’intérêt de l’Arabie Saoudite pour l’arme nucléaire dépend du statut du programme nucléaire iranien. Pour éviter tout risque de prolifération nucléaire, la sauvegarde du JCPOA est donc une nécessité.

Solène Vizier, membre du Bureau d’IDN

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