Changer la vision des armes nucléaires

Pourquoi dans la situation actuelle caractérisée par une résurgence  de la menace nucléaire celle-ci ne suscite aucune réaction et pourquoi les messages d’alerte lancées par les opposants à l’arme nucléaire ne rencontrent que peu d’échos ?

Pourtant, le risque d’utilisation d’armes nucléaires au cours des dix années qui viennent, est classé en premier par le biologiste et géographe Yared Diamond, avant le risque climatique, l’épuisement des ressources naturelles et les inégalités sociales.

Pourtant, le seuil d’emploi de l’arme nucléaire n’a jamais été aussi bas du fait des développements technologiques en matière de nouveaux systèmes d’armes et des applications militaires de l’intelligence artificielle mais aussi du fait de l’évolution des concepts qui deviennent des concepts d’emploi. A ces facteurs très inquiétants et nouveaux il faut ajouter un contexte géostratégique bouleversé par la disparition, provoquée essentiellement par l’actuel Président des Etats-Unis, de l’architecture de maîtrise des armements.

Bien sûr les discours officiels des gouvernements nucléaires persistant à proclamer que l’arme nucléaire constitue une « garantie ultime de sécurité « et, particulièrement dans le cas de la France, qu’elle est le pilier de notre indépendance et de notre autonomie stratégique, ont façonné un « consensus «  dans leurs opinions et dans le même temps  les ont ainsi dispensés de toute réflexion stratégique sur le thème  «  Dormez braves gens, vous êtes en sécurité « .Les armes nucléaires sont ainsi devenues la cause profonde de notre incapacité à affronter le futur avec courage.

Il n’en reste pas moins que les arguments développés par les adversaires des armes atomiques ne réussissent pas à dépasser un petit cercle de convaincus et que ceux-ci se heurtent à un plafond de verre qui les empêchent d’être entendus.

C’est donc que ce discours doit changer de perspective.

En général toute cette  argumentation repose sur le thème de «  l’apocalypse «, de la destruction de l’humanité. Sans aucun effet concret.

Non pas dans le fait que c’est effectivement une horreur et que les effets de toutes      sortes d’explosions nucléaires seraient dramatiques pour des générations mais dans  le fait que cela ne réussit pas à mobiliser massivement les opinions publiques.

D’une part, c’est une menace abstraite, inimaginable par son ampleur et donc quelque chose qui nous échappe contre laquelle on ne peut rien faire. C’est le mythe d’Armageddon, un mythe vieux comme l’humanité.

D’autre part, cet argument se heurte au principe de réalité sur lequel repose tout le discours des partisans des AN. Ce discours oppose ceux qui seraient dans la vie réelle, tragique, faite de rapports de force aux utopistes, aux naïfs, aux « bisounours «, aux pacifistes – injure suprême – qui vivent dans un monde rêvée.

De plus, agiter en permanence la peur de l’apocalypse ne fait que renforcer la position des nucléaristes. C’est-à-dire que aucun chef d’Etat, fût-il un dictateur, n’osera jamais utiliser une arme aussi destructrice. C’est la dissuasion nucléaire.

Dans ces conditions que faire ?

Il faut renverser l’argumentation des partisans de la bombe. C’est-à-dire démontrer que le   réalisme est du côté des adversaires de l’armement atomique.

Un tel discours pourrait être construit autour des points suivants :

Il est utopique de croire :

  • Que la DN apporte une garantie ultime de sécurité. Une telle garantie ne peut pas exister. La DN est un pari sur la rationalité du ou des adversaires. Un pari est par nature hasardeux.
  • Que la dissuasion peut continuer à jamais. La dissuasion échouera, c’est ce que nous dit le monde réel. Aucun système qui repose sur des êtres humains ne peut marcher parfaitement, toujours.
  • Que cette « garantie » ne pourra pas être revendiquée par d’autres pays. En réalité elle ne peut qu’encourager la prolifération nucléaire et donc le risque de guerre nucléaire. Pourquoi, dans notre monde multipolaire, les autres pays n’auraient pas droit à leur «  garantie ultime absolue de sécurité « ?
  • Que aucun chef d’Etat ne reculerait devant le risque de sacrifier des millions de civils, y compris dans sa propre population. L’Histoire regorge d’exemples où des dirigeants n’ont pas hésité une seconde à sacrifier des millions de civils.
  • Que la nature humaine ne cédera jamais au pire. Au contraire le réalisme implique que l’on envisage toujours le pire. Avoir un système qui repose sur la perfection humaine ne peut pas durer.

Ces quelques  points ne sont que l’embryon d’un discours qui doit être développé, complété et ordonné mais il doit  reposer sur un fil rouge : le réalisme est du côté des opposants aux armes nucléaires. Jouer avec l’arme atomique c’est jouer avec le feu. C’est un comportement immature.

En conclusion cet article a surtout pour objet ou ambition de susciter chez le lecteur des suggestions, des propositions. Il repose sur le constat, qui n’est peut-être pas partagé, que les arguments des opposants aux armes nucléaires sont pour l’instant inaudibles alors que la situation géopolitique actuelle nécessite qu’ils soient entendus de façon urgente.

Le Général d’armée aérienne (2S) Bernard Norlain, Vice-président d’IDN

Le 15 février 2019

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3 réponses

  1. Merci pour cet argumentaire dont l’implacable logique restera malgré tout contestée par le nucléaristes à grand coup de dénis et de sophismes, y compris des plus vulgaires comme le sophisme ad hominen (« bisounours » et autres noms d’oiseaux) proféré par un ex ministre des Affaires étrangères français. Ajoutons que les premiers « abolitionnistes » sont aussi ceux-là mêmes qui s’accrochent désespérément au dogme de la dissuasion, puisqu’ils sont dans le même temps (c’est à la mode) les ardents défenseurs du désarmement général et complet en étant, ils s’en vantent, Parties au TNP! Dés lors que l’on sombre dans de telles contradictions, on doit s’inquiéter. Les nucléaristes et les populations qu’ils manipulent sont en réalité victimes d’eux-mêmes et victimes des opportunistes (industriels, banques, stratégistes mondains) qui s’engouffrent dans cette faiblesse, dans cette illusion de puissance comme la nommait Edgar Morin. Nous devons donc en toute première priorité, par des actions en droit, comme c’est le cas avec le TIAN, par des initiatives en France et vers l’Europe, alerter les populations sur les immenses risques qu’elles courent en maintenant des nucléaristes au pouvoir, en votant pour eux. La dite « dissuasion » ne fait en réalité qu’exacerber, de plus à grand frais, les volontés de contournement par le terrorisme comme par la multiplication des conflits régionaux manipulés par les « rivaux » nucléaires ou par ceux qui ont et auront la tentation de le devenir.

  2. Cet article est explicite, cohérent – et très inquiétant. Mais une phrase me semble erronée: « les arguments développés par les adversaires des armes atomiques ne réussissent pas à dépasser un petit cercle de convaincus ».
    Ce « petit cercle » compte, au niveau mondial, des milliers de personnes qualifiées en la matière, bien plus nombreuses que nos gouvernants ayant convaincu les Français que les armes nucléaires étaient indispensables à notre sécurité. N’hésitez à reprendre et a diffuser leur liste (constituée sous l’influence de l’IDN) publiée sur https://blogs.mediapart.fr/peter-bu/blog/010318/deux-minutes-de-la-guerre-nucleaire

  3. Je suis également un ancien militaire.
    Je suis très au fait des chaînes de commandement, de l aspect  » technique » de ces armes…
    Je partage en tout point l analyse qui faite.