L’évolution du Vatican sur les armes nucléaires

Acteur considéré neutre de la géopolitique mondiale, le Vatican entretient des relations diplomatiques avec la quasi-totalité des Etats dans le monde. S’il est privé des caractéristiques habituels de la puissance, le Saint-Siège possède pourtant une influence certaine sur le monde. A travers ses papes, le Vatican s’exprime ainsi sur les sujets de société qui lui tiennent à cœur. Parmi ceux-ci, Rome a, depuis 1945, pris position contre les armes nucléaires. Le Pape François, notamment, offre de forts plaidoyers contre l’existence même de ces armes qu’il qualifie « d’immorales ». 

A Hiroshima, le pape François s'est insurgé contre les armes nucléaires mais aussi contre la dissuasion nucléaire, ouvrant ainsi une nouvelle ère dans le positionnement du Vatican envers l'arme atomique.
Pour le pape François, “la possession d’armes nucléaires est immorale” et son usage “un crime”.

L’État du Vatican, bien qu’il soit le plus petit État du monde, est loin d’être le moins influent. En tant que centre spirituel des catholiques, le plus grand groupe religieux au monde, son influence est mondiale. Il est également, de par sa petite taille, largement vu comme un acteur “neutre”, du moins qui n’entre pas en compétition avec les États. Cette position permet au Vatican de discuter avec presque tous les dirigeants de la planète. Le Vatican se distingue par sa diplomatie très active et efficace et entretient aujourd’hui des relations diplomatiques avec 180 États.

Le Vatican pour la paix

En tant qu’institution politique, le Saint-Siège est présent sur la scène internationale depuis 1600 ans. Privé des ressorts habituels de l’exercice de la puissance – l’outil militaire ou la coercition économique, le Vatican possède pourtant une influence certaine sur les affaires du monde. Ces dernières années, le pape a ainsi offert des plaidoyers en faveur des réfugiés et des migrants ou de l’écologie. Il est alors intéressant de s’intéresser à la position du Vatican, et des papes, sur la question de l’armement nucléaire.

Depuis la proclamation de son indépendance vis-à-vis de l’Italie en 1929, le Vatican s’est positionné comme un acteur fortement opposé à la guerre. Le Saint-Siège s’est particulièrement opposé aux attaques indiscriminées, qui ne faisaient pas la différence entre civils et militaires. Pie XII, lors d’une allocution en 1944, condamnait ainsi les bombardements aériens des villes perpétrés durant la Seconde Guerre mondiale. La papauté a également soutenu les processus de création de droit international humanitaire et des initiatives de protection des civils par les institutions internationales. Ce positionnement pacifique trouve souvent sa justification dans l’idée d’une “loi naturelle” de la paix promue par la religion chrétienne et la Bible.

Une papauté d’abord opposée aux armes nucléaires

Dans ce contexte, il semble évident que la papauté devait s’opposer à la bombe nucléaire, ultime arme destructrice et frappant sans discrimination. La position des papes depuis la Seconde Guerre mondiale a été généralement opposée à l’arme nucléaire et à ses destructions exceptionnelles. Le pape Jean XXIII (1958-1963) a joué un rôle spécialement important dans la prise de positionnement du Saint-Siège contre l’arme nucléaire. En fonction durant la crise de Cuba (1962), où le monde a frôlé le conflit nucléaire, son appel à la paix diffusé le 26 octobre a été très important dans l’organisation de négociations et l’éventuel désamorçage de la crise.

Sans surprise, l’on retrouve la mention du danger nucléaire à plusieurs reprises dans sa fameuse encyclique de 1963 Pacem in Terris (la Paix sur terre). Dans ce texte très important, il exprime, moins d’un an après ce qui fut la pire crise de la Guerre Froide, sa volonté d’empêcher un troisième conflit mondial, plus destructeur encore avec les armes nucléaires. Il s’oppose explicitement aux essais nucléaires, au risque de prolifération et envisage même un désarmement global. Il écrit alors : “La justice, la sagesse, le sens de l’humanité réclament par conséquent, qu’on arrête la course aux armements ; elles réclament la réduction parallèle et simultanée de l’armement existant dans les divers pays, la proscription de l’arme atomique et enfin le désarmement dûment effectué d’un commun accord et accompagné de contrôles efficaces”.

Pour le Vatican, les armes nucléaires comme des “armes scientifiques” 

Ses successeurs ne maintiendront pas cette forte opposition aux armes nucléaires. Leurs positions seront plus nuancées et discrètes. Tout en continuant à insister sur l’inhumanité des guerres et des armes, la Papauté ne décrit plus les armes nucléaires comme spécialement destructrices et immorales. Ainsi, dans la constitution pastorale Gaudium et spes de 1965, seulement deux ans après la lettre encyclique de Jean XXIII, sont seulement mentionnées les “armes scientifiques de tout genre”. Ce terme d’“armes scientifiques” sera de nouveau utilisé dans le catéchisme de l’Eglise catholique, promulgué en 1992 sous Jean Paul II. Ce dernier a cependant effectué un geste historique, en devenant le premier pape à visiter Hiroshima et Nagasaki en 1981.

Finalement, après la position forte prise par le pape Jean XXIII, le Vatican est resté assez réservé sur son opposition à l’arme nucléaire. Elle était vue comme une source d’inquiétude, mais n’était plus mentionnée explicitement dans les textes officiels, et généralement mise au même niveau que d’autres armes de destruction massive. En ce sens, les souverains pontifes ont poursuivi leur rhétorique en faveur de la paix, de la protection des civils et de la fin de la course à l’armement, mais ne catégorisent plus l’arme atomique comme un danger supérieur ou séparé des autres.

Avec le Pape François, une nouvelle ère

L’arrivée du pape François, suite à la renonciation de Benoît XVI, a bousculé cette situation. Il représente, à bien des égards, un renouveau. La nomination d’un pape originaire d’Amérique latine dénote la volonté du Vatican de recentrer son attention sur les populations catholiques hors d’Europe. Ces populations sont aujourd’hui au cœur de la politique du souverain pontife. Le pape François se démarque surtout par des vues beaucoup plus modernes, autant que peut l’être le représentant de l’Eglise catholique, sur des questions sociales, sur l’immigration ou l’écologie. Il s’exprime souvent et avec force sur ces sujets et sur la position que les gouvernements mondiaux devraient adopter. Cela fait probablement de lui, avec Jean Paul II, le pape le plus impliqué dans les affaires internationales.

L’une de ses convictions les plus importantes, et probablement l’une des plus controversée, est son opposition radicale aux armes nucléaires. Contrairement à ses prédécesseurs, il n’hésite pas à parler très franchement et très clairement de l’arme nucléaire. Déjà en 2014, il s’adressait à la Conférence sur l’impact humanitaire des armes nucléaires avec les mots suivants : “Les armes nucléaires sont un problème global qui affecte toutes les nations et impacte les futures générations et notre planète”.

Le désarmement nucléaire était également au centre de son discours devant l’Assemblée générale des Nations Unies en 2017, où il a répété que les armes nucléaires étaient un affront au droit international humanitaire et aux droits de l’Homme. Durant ce discours, il n’a pas hésité à se prononcer non seulement en faveur du désarmement, mais également en faveur de l’interdiction totale des armes nucléaires : “Il y a un besoin urgent d’œuvrer pour un monde libre des armes nucléaires, en application complète du traité de non-prolifération, dans la lettre et dans l’esprit, avec pour objectif l’interdiction complète de ces armes”.

Le renforcement de la diplomatie pontificale dans un environnement international instable

Ce n’est pas une coïncidence si ces revendications se développent aujourd’hui. Le contexte international est devenu de plus en plus instable et incertain, spécialement sur la question nucléaire. L’arrivée de Trump au pouvoir, les tensions entre les Etats-Unis et la Corée du Nord, le retrait des Etats-Unis de l’accord de Vienne et le conflit continuel entre l’Inde et le Pakistan sont autant d’événements qui augmentent l’inquiétude suscitée par les armes nucléaires. C’est ce contexte qui a amené le pape François à intervenir, comme le fit Jean XXIII lors de la crise de Cuba. Il affirme notamment que le modèle de sécurité par la dissuasion est inadapté à la nouvelle situation mondiale.

Cette démarche vise aussi à renforcer la diplomatie vaticane. Celle-ci a toujours joué un rôle important dans les relations internationales grâce à son influence mondiale et sa relative neutralité. Cependant, le pape François a pris de nouvelles mesures pour augmenter la présence et l’influence du Saint-Siège dans les relations internationales. Symboliquement, c’est lui qui a pour la première fois élevé un nonce (les représentants diplomatiques du Vatican) à la fonction de Cardinal, une des plus hautes places de l’Église catholique. Ses voyages, et ses nominations de cardinaux dans des pays de plus en plus lointains, démontrent sa volonté d’étendre l’influence catholique dans le monde.

Des actions contre l’arme nucléaire

Sur le sujet du désarmement nucléaire, au-delà des discours du pape, des actions concrètes ont déjà été prises par les Affaires étrangères de la papauté. La papauté ne s’est jamais autant dressée contre les armes nucléaires. Le Vatican lui-même a organisé une Conférence pour le désarmement nucléaire en 2017, illustrant sa volonté d’agir. Le Vatican, surtout, a décidé de signer le Traité sur l’Interdiction des Armes Nucléaires (TIAN) en 2017. C’est d’ailleurs un acteur central de la diplomatie vaticane, Paul Richard Gallagher, le secrétaire pour les relations avec les États, qui a signé ce traité pour le Saint-Siège.

Le Vatican avait déjà ratifié le Traité de non-prolifération (TNP) et le Traité d’interdiction complète des essais nucléaires (TICE). La signature du TIAN envoie un signal très fort. Lors de l’ouverture de la 74ème session de l’ONU, pour l’exercice 2019-2020, l’observateur permanent du Saint-Siège, Bernardito Auza, a maintenu la position du Vatican en défendant ces traités. “Le Saint-Siège est fermement convaincu que ces traités sont des éléments essentiels de l’architecture du désarmement nucléaire et qu’ils se complètent pour réaliser un monde sans armes nucléaires”, a-t-il déclaré.

Une influence modérée du Vatican

Si l’influence du Vatican sur les chefs d’Etat peut être importante, l’influence du nouveau pape sur les questions nucléaires au sein de la population catholique reste modérée. Selon une enquête de l’institut Nuclear Knowledges, si une majorité des catholiques interrogés sont d’accord avec les opinions du pape sur l’arme nucléaire, ils considéraient également majoritairement que l’opinion du pape n’avait pas d’influence sur la leur, et n’en aurait pas dans le futur. De plus, un peu plus de 50% des sondés s’opposent à l’implication du pape dans des affaires politiques. Cette dernière donnée est probablement liée à un des problèmes de ce nouveau pape : une partie considérable des catholiques conservateurs ne partagent pas les orientations du pape, dans un contexte de résurgence du conservatisme dans une grande partie du monde.

La forte implication du Vatican dans le désarmement nucléaire a sans doute une influence diplomatique. Elle ne parvient cependant pas à influer sur l’opinion catholique. Un fait qui n’empêchera pas le pape François et le Vatican de poursuivre leur campagne sur le sujet. En septembre, à l’occasion de la Journée internationale pour l’élimination totale des armes nucléaires, le cardinal Pietro Parolin, Secrétaire d’État du Saint-Siège, est intervenu à l’Assemblée générale de l’ONU.

L’interdiction des expérimentations nucléaires, la non-prolifération nucléaire et le désarmement nucléaire sont étroitement connectés et doivent être atteints le plus rapidement possible, sous un efficace contrôle international”, a-t-il insisté. “Les armes nucléaires offrent une fausse impression de sécurité”, a souligné le cardinal Parolin. “La paix inquiète promise par la dissuasion nucléaire s’est toujours plus souvent révélée illusoire. Les armes nucléaires ne peuvent pas créer un monde stable et sûr. Une paix durable et la sécurité internationale ne peuvent pas se fonder sur la destruction réciproquement assurée ou sur la menace d’annihilation”.

Le pape François à Nagasaki

Dans l’esprit de ce message, le pape François s’est rendu au Japon cette semaine. Il a notamment visité les villes de Hiroshima et Nagasaki, dévastées par les bombes nucléaires américaines en 1945. A Hiroshima, dans un discours poignant, il a qualifié de “crime” l’usage de l’atome à des fins militaires. Pour lui, “l’utilisation de l’énergie atomique à des fins militaires est aujourd’hui plus que jamais un crime, non seulement contre l’homme et sa dignité, mais aussi contre toute possibilité d’avenir dans notre maison commune”. “La possession d’armes nucléaires est immorale”, a-t-il ajouté.

A Nagasaki, il a rejeté la doctrine selon laquelle la possession de l’arme nucléaire permettrait de dissuader les attaques et de garantir la paix. Elle créerait au contraire une “fausse sécurité”, qui envenime les relations entre les peuples. Si le rejet de l’arme nucléaire a été défendu par tous les papes, cette prise de position contre la dissuasion nucléaire est une première. Devant l’ONU en 1982, Jean-Paul II avait défini cette doctrine comme un mal nécessaire. Le chef de l’Eglise catholique s’est également insurgé contre toute la filière de l’armement. “La fabrication, la modernisation, l’entretien et la vente d’armes toujours plus destructrices sont un outrage continuel qui crie vers le ciel”, a-t-il martelé. Avant de conclure : “la véritable paix ne peut être qu’une paix désarmée”.

Marie Lureau

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