Armes nucléaires : ce qui attend Joe Biden et ce qu’on peut attendre de lui

Article publié dans La Tribune le 13 novembre 2020

Crédit photo : JONATHAN ERNST 

Le nouveau président des Etats-Unis aura un agenda chargé, mais en ce qui concerne le contrôle des armes nucléaires, il devrait être amené à prendre assez rapidement des mesures qui renverseraient notablement la politique suivie par son prédécesseur (qualifiée par IDN de « quatre ans de folie nucléaire« ) tout en restant fidèle aux grandes orientations bipartisanes de ce dossier. 

A peine intronisé, le 20 janvier 2021, le président Biden sera confronté à de nombreuses priorités (crise sanitaire et économique, réunification de la société américaine, crise climatique, etc.). Comme à l’accoutumée, au cours de la campagne électorale, la place de la politique étrangère et de défense a été réduite à la portion congrue. Toutefois, certaines décisions s’imposeront à brève échéance à la Maison-Blanche en ce qui concerne le contrôle des armements et les armes nucléaires en général.

1/ La prorogation du Traité New START avec la Russie

Ce Traité expire en février 2021. Dans une tentative de la onzième heure, l’administration Trump avait espéré échanger avec Moscou un accord sur sa prorogation pour un an contre un élargissement des pourparlers à la Chine, l’inclusion des « nouvelles armes russes », et le gel vérifiable du nombre des ogives nucléaires en attendant un nouveau traité. La Russie avait rejeté ces conditions. Biden a toujours été clair à ce sujet : il est disposé à proroger New START pour cinq ans sans préconditions et amorcer la négociation d’un nouvel accord de réduction des armes offensives. Il est peu probable, toutefois, qu’il accepte la demande russe de mettre sur la table les systèmes défensifs dont il a réaffirmé la nécessité conformément à une position commune aux Démocrates et aux Républicains.

2/ L’accord sur le nucléaire iranien

Biden a fustigé le retrait, décidé par Trump, des Etats-Unis de l’accord de 2015 conclu par Obama dans le cadre P5+1. Il a promis d’y adhérer de nouveau « si l’Iran retourne à un plein respect de l’accord ». Or la principale conséquence du retrait américain a été la réimposition de sanctions « maximales » envers l’Iran. Biden est prêt à annuler dans l’immédiat celles qui empêchent Téhéran de lutter efficacement contre la pandémie de COVID-19 et le refus de visas aux ressortissants des pays musulmans. Toutefois, il souhaite renégocier l’accord pour y inclure le programme iranien de missiles et l’action extérieure de la République islamique. En tout cas, son approche a le mérite de reposer sur le dialogue et la négociation « en concertation avec les alliés européens ».

3/ La dénucléarisation de la Corée du Nord

Biden n’a pas caché sa désapprobation de la politique des sommets « pour la photo » menée par Trump et n’ayant abouti à aucun progrès vers le désarmement nucléaire de Pyongyang. Il devrait donc renouer avec des négociations, soit bilatérales soit multilatérales, susceptibles de permettre la fin de l’état de guerre et la levée des sanctions en échange du démantèlement progressif de l’arsenal nucléaire de la Corée du Nord.

4/ La doctrine américaine de défense

Avec le délai nécessaire pour mettre les équipes en place, le nouveau président devrait publier sa « Nuclear Posture Review » pour se démarquer de celle de Trump en 2018 et revenir vers une doctrine plus proche de celle d’Obama en 2010. En particulier, Biden a fait adopter dans le programme démocrate la posture de non-emploi en premier qu’Obama avait échoué à faire accepter par le Pentagone. L’arme nucléaire ne devrait donc plus servir qu’à dissuader une attaque nucléaire ou à y riposter, mais en aucun cas à être utilisée pour une première frappe.

Une telle initiative, si elle réussit et si Biden parvient à convaincre les autres puissances nucléaires de s’y rallier, contribuerait à réduire considérablement le risque nucléaire. Des parlementaires démocrates demandent également que le pouvoir du président de déclencher une attaque nucléaire ne soit plus solitaire mais partagé avec le Congrès. Une telle législation pourrait être adoptée par la Chambre des Représentants, mais devrait être rejetée par le Sénat.

5/ La modernisation de l’arsenal nucléaire américain

Biden devra trancher, pour le budget qu’il présentera en mars 2021, en faveur ou non de la mise en œuvre des projets lancés par Trump dans le cadre du programme de la modernisation des armes nucléaires américaines de 1.200 milliards de dollars sur 30 ans déjà validé par Obama. Biden s’est déjà dit opposé à l’introduction de la tête nucléaire dite « à faible puissance » pour équiper les missiles de croisière lancés de sous-marins car elle constitue une incitation à la bataille nucléaire.

Il n’est pas sûr, en revanche qu’il mette fin au programme de remplacement des missiles terrestres intercontinentaux estimé à 264 milliards de dollars comme le lui demandent plusieurs organisations telles que l’Union des Scientifiques Inquiets (UCS). De même, il restera sensible à l’influence du lobby militaro-industriel, dont une partie a financé sa campagne, et continuera à soutenir les essais d’un système de défense antimissiles pourtant jugé inefficace et inutile par les scientifiques.

6/ L’interdiction des essais nucléaires

Là encore, Biden avait fustigé Trump, qui avait envisagé de mettre un terme au moratoire sur les essais nucléaires explosifs, risquant de montrer le mauvais exemple aux autres pays non parties (Chine, Inde, Pakistan, Corée du Nord). Comme ses prédécesseurs démocrates, il défend la ratification par les Etats-Unis du Traité d’interdiction complète des essais nucléaires (TICE) signé en 1996. Mais, il reste dépendant du Sénat qui devrait continuer à s’y opposer.

7/ Les armes nucléaires tactiques déployées en Europe

Biden ne s’est pas exprimé sur ce sujet, mais on peut s’attendre à ce que, vis-à-vis des alliés de l’OTAN, il se montre plus respectueux sans pour autant renoncer à exiger un accroissement des dépenses militaires des alliés vers la cible de 2 % du PNB. Il sait que, au sein de l’OTAN, les pays qui ont le plus peur de la Russie (Pologne, pays baltes) insistent pour maintenir et moderniser les 150 à 250 bombes à gravitation américaines réparties entre l’Allemagne, la Belgique, l’Italie, les Pays-Bas et la Turquie. En revanche, le débat sur leur réduction ou leur retrait est amorcé dans plusieurs de ces pays en Europe. Peut-être Biden préconisera-t-il de les inclure dans une nouvelle négociation avec la Russie pour obtenir le démantèlement de ses armes tactiques, plus nombreuses.

8/ Le Traité sur l’interdiction des armes nucléaires (TIAN)

A cet égard, pas de surprise : Biden reste attaché à la dissuasion nucléaire, quoique dans des limites plus strictes définies plus haut. Il poursuivra donc la politique bipartisane de rejet du Traité d’interdiction, peut-être toutefois d’une manière moins agressive, en renonçant aux pressions exercées par Trump pour bloquer son entrée en vigueur, et ignorées par les États ayant subi ces menaces.

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Marc Finaud

Marc Finaud

Marc Finaud est un ancien diplomate de carrière. Il travaille désormais comme formateur pour jeunes diplomates et officiers au sein du Centre de Politique de Sécurité de Genève (GCSP) dans tous les domaines de la sécurité internationale. Au cours de sa carrière diplomatique, il a été affecté à plusieurs postes bilatéraux (URSS, Pologne, Israël, Australie) ainsi qu’à des missions multilatérales (CSCE, Conférence du Désarmement, ONU). Il est titulaire de Masters en Droit international et en Sciences politiques. Il a aussi été Collaborateur scientifique de l’Institut des Nations unies pour la Recherche sur le Désarmement (UNIDIR) (Programme sur les Armes de destruction massive). Au sein d’IDN, il a la responsabilité d’assurer les relations internationales et diplomatiques de l’association. Il participe au Comité de rédaction.
Marc Finaud

Marc Finaud

Marc Finaud est un ancien diplomate de carrière. Il travaille désormais comme formateur pour jeunes diplomates et officiers au sein du Centre de Politique de Sécurité de Genève (GCSP) dans tous les domaines de la sécurité internationale. Au cours de sa carrière diplomatique, il a été affecté à plusieurs postes bilatéraux (URSS, Pologne, Israël, Australie) ainsi qu’à des missions multilatérales (CSCE, Conférence du Désarmement, ONU). Il est titulaire de Masters en Droit international et en Sciences politiques. Il a aussi été Collaborateur scientifique de l’Institut des Nations unies pour la Recherche sur le Désarmement (UNIDIR) (Programme sur les Armes de destruction massive). Au sein d’IDN, il a la responsabilité d’assurer les relations internationales et diplomatiques de l’association. Il participe au Comité de rédaction.

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