Donald Trump : 4 ans de folie nucléaire

Crédits photo : Gage Skidmore.

Quatre ans après son arrivée au pouvoir, le président américain Donald Trump présente une politique internationale marquée par un fort rejet du multilatéralisme, faite de beaucoup de risques, mais de peu de résultats. Sa présidence se sera traduite par une diplomatie malmenant jusqu’aux plus proches alliés des États-Unis et par un impact durable sur l’aggravation de certains dossiers. La planète a parfois retenu son souffle face à la politique unilatérale et personnelle du chef de l’État américain. Sur le nucléaire, Donald Trump n’aura pas réussi à développer, et encore moins à poursuivre, une stratégie cohérente de maîtrise des armements nucléaires. C’est désormais toute l’architecture internationale de maîtrise et de contrôle des armements nucléaires qui est au bord de l’effondrement.

Modernisation et Nuclear Posture Review : une augmentation des risques nucléaires

Le mandat de Trump s’est traduit par un regain d’importance du rôle des armes nucléaires dans la stratégie de défense américaine, augmentant de fait le risque d’instabilité ou de prolifération ou même d’utilisation des armes nucléaires. La Revue de la Posture Nucléaire (NPR, Nuclear Posture Review) de 2018 a marqué le retour des États-Unis dans la compétition des grandes puissances atomiques. Dans un “contexte de sécurité dégradée”, elle abandonne l’objectif de réduction du nombre et du rôle des armes nucléaires. La NPR n’a pas non plus exclu l’utilisation de l’arme nucléaire pour compenser un désavantage sur le plan conventionnel, laissant envisager une riposte nucléaire américaine contre des “agressions stratégiques non nucléaires”.

Les États-Unis ont également poursuivi la mise en place vaste et coûteux programme de modernisation de leur triade nucléaire vieillissante. Son coût est estimé à 1 200 milliards de dollars jusqu’en 2046, dont 494 pour la période 2017-2026. La modernisation couvre tout l’arsenal nucléaire américain. L’accent sur le renforcement de la “flexibilité et la gamme de leurs options de dissuasion sur mesure” par le développement de nouvelles armes tactiques de puissance limitée. En février 2020, des sous-marins lanceurs d’engins (SNLE) américains ont ainsi été équipés de missiles supportant les premières ogives W76-2, laissant craindre un abaissement du seuil d’emploi de l’arme nucléaire.

Iran : l’isolement américain

Deux ans après le retrait unilatéral des États-Unis de l’accord sur le nucléaire iranien (JCPOA), la politique de pression maximale de l’administration Trump est un échec. Qualifiant le texte de “pire accord de tous les temps” et de “catastrophe”, Donald Trump avait promis la signature d’un accord élargi avec l’Iran, s’inscrivant dans les efforts de son administration pour limiter l’influence régionale de l’Iran et contrecarrer son programme atomique. Face à l’intransigeance des États-Unis et à l’incapacité des autres parties à l’accord à contrebalancer les mesures américaines, l’Iran s’est progressivement désengagé de ses obligations. Téhéran possède désormais 2 105,4kg d’uranium enrichi sur son sol, soit dix fois plus qu’au moment du retrait américain (202,8kg).

La rupture des négociations a entraîné une forte période de tensions entre les deux pays, laissant craindre un conflit de grande ampleur au Moyen-Orient. Dernier épisode en date, les États-Unis souhaitent désormais activer une clause permettant de réimposer unilatéralement toutes les sanctions internationales sur l’Iran. Cette mesure, illégale du fait du retrait de Washington de l’accord, est fortement contestée par la communauté internationale. Dans le dossier iranien, les États-Unis sont isolés, leurs alliés européens continuant de contester la décision du président Trump. L’Iran a rompu tout dialogue avec Washington, dans l’attente d’un changement d’homme à la tête des États-Unis.

Corée du Nord : l’échec de la « relation privilégiée »

Véritable jalon de sa présidence en matière de politique étrangère, Trump avait fait de la dénucléarisation de la Corée du Nord la priorité de son mandat. En 2017, l’escalade entre Kim Jong-un et Donald Trump avait laissé craindre le déclenchement d’une guerre sur la péninsule coréenne, avant des pourparlers. Si aujourd’hui, Trump défend sa politique nucléaire nord-coréenne en demandant “Où est la guerre ?”, il a pourtant rejoint la longue liste des présidents américains incapables d’arrêter la menace nucléaire nord-coréenne.

Dans ce dossier, la stratégie de diplomatie des États-Unis est remise en question. Donald Trump avait tout misé sur sa “relation privilégiée” avec Kim Jong-un, personnalisant à l’extrême les négociations entre les États-Unis et la Corée du Nord. Si cette stratégie avait été considérée comme le socle d’une dynamique inédite entre les deux États, les deux camps ont une définition différente du terme “dénucléarisation” et les négociations sont aujourd’hui rompues. Pire, la Corée du Nord a multiplié les essais d’armement, menaçant d’emprunter une “nouvelle voie” dans les négociations nucléaires avec les États-Unis.

Début octobre, la Corée du Nord a présenté un gigantesque missile balistique international (ICBM) et un nouveau sous-marin lance-missiles. En dépit des sanctions internationales, Pyongyang poursuit ses efforts pour construire son programme de défense et tenter de légitimer son programme nucléaire. Et, en l’absence de propositions sérieuses de la part de Washington, la Corée du Nord n’est pas disposée à courir le risque politique d’être la première à lâcher du lest. Au contraire, Kim Jong-un considère la possession de l’arme atomique comme l’ultime garantie de survie de son régime : le danger émanant de la pression de la communauté internationale est en deçà des risques résultant de l’abandon de son arsenal.

Un retrait généralisé des traités de maîtrise des armements nucléaires

Au-delà des dossiers du nucléaire iranien et nord-coréen, l’administration Trump a retiré les États-Unis de plusieurs accords majeurs de coopération et de contrôle des armements nucléaires. Rejetant le multilatéralisme, la politique de contrôle nucléaire de Trump demeure bloquée notamment par sa volonté d’inclure la Chine dans tout nouveau traité.

  • INF : un échec pour la sécurité européenne

En août 2019, après six mois de dialogue de sourds, les États-Unis et la Russie, s’accusant de violations mutuelles ont acté la mort d’un accord emblématique, le traité sur les Forces nucléaires à portée intermédiaire (INF, pour Intermediate-Range Nuclear Forces). Or, les missiles de portée intermédiaire sont aujourd’hui militairement attrayants, les nouvelles technologies permettant de développer des armes beaucoup plus précises qu’il y a 30 ans. L’abandon du Traité INF fait donc craindre une nouvelle “course aux armements illimitée”, qu’ils soient nucléaires ou conventionnels. De plus, bien que de portée mondiale, le Traité INF s’est concentré sur le renforcement de la sécurité européenne, permettant, en 1987, de viser à l’élimination de toute une catégorie de missiles américains et soviétiques déployés en grand nombre entre l’Atlantique et l’Oural lors de la Guerre Froide. En ce sens, son désaveu est un échec pour la sécurité européenne.

  • Ciel ouvert : un recul en matière de transparence

Le 22 mai 2020, Washington a notifié aux autres États son intention de se retirer du traité Ciel ouvert (Open Skies, 1992), qui autorise une surveillance aérienne pacifique et réciproque des États parties et met en place un cadre multilatéral de règlement des différends. Accusant la Russie d’avoir violé le traité, les États-Unis le quitteront à l’issue d’un délai de 6 mois. Ce retrait traduit une nouvelle fois un profond dédain de Trump envers le multilatéralisme. Le traité Ciel ouvert, qui, comme nous l’expliquions en mai dernier, a largement profité aux Américains, vise à promouvoir la transparence et la confiance entre les États. Il offre notamment un cadre de solution pacifique des différends. Trump a balayé cette approche coopérative. Le retrait programmé du traité Ciel ouvert, qui interviendra au lendemain de l’élection présidentielle américaine, met une nouvelle fois en danger la sécurité européenne.

  • New START : vers un monde sans accord bilatéral entre Moscou et Washington

L’avenir du traité New Start, portant sur la réduction des armes nucléaires stratégiques entre la Russie et les États-Unis est toujours en suspens, à quatre mois de son expiration. Dans ce dossier, l’administration Trump a choisi d’adopter son approche habituelle, bien qu’elle n’ait jamais fonctionné jusqu’alors. Désirant que la Chine et les nouveaux systèmes d’armements russes soient concernés par les dispositifs de contrôle des armements, Trump menace ses adversaires d’un retrait pour les amener à changer de comportement sans concession.

A une semaine de l’élection présidentielle américaine, les négociations à propos du New Start semblent de nouveau dans l’impasse, la proposition faite par la Russie le 21 octobre de prolonger d’un an le traité en l’accompagnant d’un gel réciproque du nombre des têtes nucléaires étant resté sans réponse. La présidence Trump est tentée de laisser expirer le Traité New START dans l’optique de marquer des points auprès d’électeurs et d’élus percevant tout accord international comme une marque de faiblesse et refusant de “récompenser” la Russie.

De plus, les États-Unis considèrent ce traité et le traité INF comme un handicap face à la Chine qui, elle, n’est pas astreinte aux traités et peut donc développer son arsenal sans entrave. Le monde risque désormais de se réveiller au printemps 2021 sans aucune limitation juridique des armes stratégiques, et surtout sans traité bilatéral limitant la prolifération nucléaire des deux plus grandes puissances nucléaires.

Une succession d’échecs

Comme nous l’avions écrit en mai dernier, “plus qu’aucun autre président américain auparavant, Trump aura soumis la politique étrangère des États-Unis à une vision idéologique et à ses propres intérêts électoraux”. En un mandat, l’administration Trump aura torpillé pas moins de trois textes internationaux en matière de maîtrise des armements nucléaires, auxquels s’ajoutent les difficiles négociations du New Start et la menace de procéder à de nouveaux essais nucléaires, les premiers depuis 1992 et en violation de la signature américaine du TICE. Trump a enfin fait pression, ces dernières semaines, sur la communauté internationale pour que le Traité d’interdiction des armes nucléaires (TIAN) n’entre pas en vigueur.

C’est donc aujourd’hui tout le régime de maîtrise des armements nucléaires post-guerre Froide qui vacille sous les coups de boutoirs répétés de l’administration Trump. Ce dernier, plutôt que de “garantir la continuité et la sécurité en prolongeant les efforts diplomatiques de ses prédécesseurs”, a préféré détruire l’héritage d’Obama tout en promouvant de nouveaux accords sur lesquels il espérait apposer son nom : un échec. De plus, sa gestion personnalisée des dossiers a démontré un manque de vision d’ensemble de l’architecture du contrôle des armements nucléaires : il est impossible d’exiger de la Corée du Nord une “dénucléarisation complète, vérifiable et totale” alors que l’Iran n’est pas soumis aux mêmes normes. De plus, la crédibilité des promesses américaines a largement été remise en question alors que l’administration Trump a prouvé pendant 4 ans que tout accord signé pouvait ensuite être défait.

A une semaine de l’élection présidentielle américaine, seul un accord de principe avec la Russie sur le New Start pourrait voir le jour et apporter un point positif au bilan de l’administration Trump en matière de contrôle des armes nucléaires. La communauté internationale retient désormais son souffle, à quelques jours du changement de présidence. Le démocrate Joe Biden a d’ores et déjà promis, s’il était élu, un retour à la diplomatie et au multilatéralisme. Espérons en tout cas que l’on en finira avec les folies nucléaires de Donald Trump.

partagez cet article avec vos amis

Solène VIZIER

Solène VIZIER

Solène Vizier est diplômée d’un Master 2 Études Stratégiques. Passionnée de géopolitique, ses domaines de spécialisation concernent les mondes hispanophone et russophone, le désarmement nucléaire et la géopolitique du sport. Au sein d’IDN, elle est chargée du pôle “Rédaction”.
Solène VIZIER

Solène VIZIER

Solène Vizier est diplômée d’un Master 2 Études Stratégiques. Passionnée de géopolitique, ses domaines de spécialisation concernent les mondes hispanophone et russophone, le désarmement nucléaire et la géopolitique du sport. Au sein d’IDN, elle est chargée du pôle “Rédaction”.

Laissez un commentaire

Une réponse

  1. Bonjour Madame,

    Votre analyse est si bien articulée, tout se tient, que j’ai quelque scrupule à me mêler à ce débat.

    Touteƒois, sans y rien changer, vous pourriez ajouter ce sentiment très-ouvertement affirmé que « Nous Américains (des U.s.A.) nous ne sommes pas aussi nuls et primitiƒs que vous ». Comme souvent me le rappellent en riant jaune mes cousins de Boston…..

    Cela explique que pendant la guerre contre le Viêt Nam, les pilotes de l’aéro-navale dînaient dans des salons ornés de boiseries sculptées, porcelaine, argenterie, servis par des stewards en tenues blanches immaculées, en écoutant les musiques de Händel et Telemann : Ils n’ont JAMAIS rencontré un adversaire en chair et en os, JAMAIS posé le pied sur le sol de ce « pays de sauvages ». Ma ƒemme, de Hà Nôi, aurait encore beaucoup à dire sur cette distanciation raciale.

    Cela explique que le 11 août 1944, des pilotes de bombardiers de l’U.s. Air ƒorce, RENTRANT D’ALLEMAGNE sans avoir utilisé leurs bombes, s’en sont débarrassés sur notre (((très))) menaçant village de viticulteurs, Aÿ-Champagne. Beaucoup de nos voisins sont morts, moi je n’en garde qu’une énorme bosse au-dessus de l’oreille gauche.

    Cela explique que le capitaine ƒrancis gary powers, célèbre pilote de £ockheed U 2 abattu le 1° mai 1960 par les soviétiques, TRAÎTRE à sa patrie, révéla tout. Il ƒut non seulement « échangé » à Berlin sur le Pont de Glienicke ; mais il reçut une promotion, double solde pour ses mois d’emprisonnement… Il reçut même la Distinguished Flying Cross et la Silver Star. Il repose en Paix parƒaite au Cimetière National d’Arlington.

    Ce que vous ne savez certainement pas (les soviétiques ne s’en sont jamais vantés…), c’est qu’il ne ƒotograƒiait le paysage que très-accessoirement. Il planait au-dessus de « cônes » d’émission radio pour recueillir des secrets militaires : de gens qui ƒaisaient CONFIANCE à l’Occident, au péril de leur vie. En effet, plus de 300 d’entre eux et leurs ƒamilles, amis, ƒinirent leurs jours au G.OU.L.A.G. à cause de ce Héros.

    Il y a quand même le Colonel Joseph Gurƒein, qui eut sous ses ordres le détachement ƒrançais pendant la Guerre de Corée (en particulier pendant l’épouvantable Bataille de Crève-Cœur), et qui me dit « Je n’ai jamais eu d’aussi bons soldats ».

    Il vous intéressera peut-être aussi de lire le livre de William Garner (qui ƒut un jeune assistant des négociations S.A.L.T.) sur £a perception de la menace d’invasion en Russie depuis les Chevaliers teutoniques, Karl XII aƒ Sverige, Napoléon, etc…. Car, lui, au moins, avait des amis russes, qui l’ont même intronisé « £éopard des Neiges » après de nombreuses ascensions en commun dans l’Oural.

    Vous avez mille ƒois raison, « un superbe isolement » ne vaut rien qui vaille. Dans son discours aux obsèques de John Kennedy, la voix gouailleuse du vieux Winston Churchill tonnait encore « And new ballistic missiles are so swiƒt… »