Dissuasion nucléaire : ouvrons vraiment le débat

Tribune  de Paul Quilès, Bernard Norlain, Jean-Marie Collin

Président et Vice-Présidents

de l’association Arrêtez La Bombe – ALB

publiée sur le site de Marianne

 

      Avec pour thème la dissuasion nucléaire française en débat, la Fondation pour la Recherche Stratégique Française vient d’organiser une journée d’études[1] dont le but proclamé était de renouveler et d’ouvrir largement ce débat en France. 

      Bien que plusieurs intervenants partisans du désarmement nucléaire aient été invités, force est de constater que le débat démocratique n’a pas eu lieu. Devant une assistance où le complexe militaro-industriel et scientifique était largement représenté, la très grande majorité des intervenants a entonné un hymne à la dissuasion nucléaire et à la Bombe. 

      Depuis le « retour du nucléaire  dans le contexte géostratégique actuel » jusqu’à la « nécessité de renouveler en totalité les composantes nucléaires », tous les poncifs habituels ont été assénés à un auditoire déjà acquis à la cause. La discussion n’a pas permis non plus d’ouvrir le débat. On a préféré se pencher par exemple sur ce qu’implique la «  stricte suffisance » (faut-il 250 ou 300 têtes nucléaires), ou bien sur l’éternel controverse, semblable à la discussion sur le sexe des anges, de l’ultime avertissement ou de l’avertissement tout court. Sans oublier tous les bienfaits scientifiques, technologiques, économiques et opérationnels qu’apporte le développement de notre dissuasion. 

     On a même entendu l’assistant d’un parlementaire très au fait des questions de défense, prétendant s’exprimer au nom de son député, qui a osé qualifier les catholiques « d’anti-patriotiques », à cause de la position de l’Eglise catholique qui a clairement condamné la dissuasion nucléaire ! Comme l’a rappelé l’un des intervenants, rien n’a manqué, depuis l’arrogance diplomatique française (« nous sommes les meilleurs »), jusqu’à l’attaque ad hominen contre l’ancien ministre de la Défense Hervé Morin coupable d’hérésie. 

      Deux éléments sont pourtant venus perturber cette liturgie. Le premier est la réponse à la question « Si la France était à l’heure actuelle dépourvue d’armes nucléaires, développerait-elle une force de frappe nucléaire ? » la réponse a été négative. En d’autres termes, elle est inutile, mais on l’a, on la garde. 

      Le deuxième concerne le coût de la dissuasion et de son renouvellement jugé indispensable par l’ensemble des participants. Plus de 6 Mds €/an, selon des estimations officielles citées au cours de cette conférence par le sénateur Gautier. Au regard des 3,5 Mds €/an actuels, cette croissance exercerait une pression considérable sur le budget d’équipement du ministère de la Défense et ne pourrait se faire qu’au détriment des forces conventionnelles. Il est clair qu’une telle perspective met en cause, une fois encore, toute notre politique de défense. Peut-on encore assurer toute la panoplie des missions, depuis la dissuasion nucléaire, les opérations extérieures jusqu’aux missions de sécurité intérieure ? Cette question, pourtant fondamentale mais inquiétante pour les thuriféraires de la Bombe, a été évacuée. 

      Malgré cela, l’unanimité autour de la dissuasion qu’a voulu manifester cette conférence n’a pas été ébranlée. Elle s’est appuyée sur un supposé « consensus » de l’opinion française pour désamorcer à l’avance toute critique de fond. Il est vrai que la question de la légitimité de la dissuasion nucléaire ne fait l’objet d’aucun débat public en France, contrairement à d’autres pays. Les médias n’ont fait aucun écho à l’échec de la dernière conférence d’examen du Traité de Non-Prolifération à New York. Rien non plus sur le fait que la France, comme d’ailleurs les puissances nucléaires officielles, ne respecte pas ses engagements d’aller vers un désarmement nucléaire général. Rien sur la position des 107 Etats qui se sont prononcés récemment à l’ONU pour une interdiction des armes nucléaires, en dénonçant le risque de conséquences humanitaires catastrophiques que font courir ces armes à l’Humanité. 

      Faute de débat public sur le coût de l’arme nucléaire, sur ses risques, sur la gravité de ses conséquences politiques et stratégiques, notre société semble s’en désintéresser. Mais les Français croient-ils vraiment que l’arme nucléaire les protège, à l’image d’une nouvelle ligne Maginot, que l’on aurait cette fois réussi à rendre infranchissable ? Ont-ils d’ailleurs jamais eu la possibilité de se prononcer sur cette question ? 

      Pendant les années qui ont immédiatement suivi la fin de la Guerre froide, l’arme nucléaire a été comme oubliée par le grand public.Aujourd’hui voici qu’on parle à nouveau de chantage ou d’intimidation nucléaire, qu’on évoque des « tirs d’avertissement », qu’on s’apprête à doubler les sommes consacrées à cette arme de destruction massive. 

      Plutôt que se remettre à jouer aux menaces d’apocalypse, il est temps d’engager sereinement une réflexion collective, pour permettre un vrai débat démocratique, équitable et sans tabou. Les législateurs et les partis politiques ne peuvent plus s’en exonérer.

 

[1]  Lundi 8 juin 2015, Maison de la Chimie

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