Vers un Moyen-Orient débarrassé des armes de destruction massive?

par Marc Finaud,

ancien diplomate français spécialisé dans la maîtrise des armements et le Moyen-Orient, Conseiller principal du Centre de Politique de Sécurité de Genève (GCSP) et Collaborateur scientifique de l’Institut des Nations Unies pour la Recherche sur le Désarmement (UNIDIR)

      Le report de la Conférence sur le Moyen-Orient prévue à Helsinki en 2012 a suscité une grande frustration non seulement au Moyen-Orient mais aussi à travers le monde. En effet, le lancement d’un processus visant à débarrasser cette région volatile, ravagée par les conflits et stratégique de toutes les armes de destruction massive était considérée comme une occasion inespérée de progresser vers la paix et la sécurité. Des discussions et consultations intensives se sont bien tenues depuis lors dans de multiples cadres officiels et des forums informels. Mais, comme on le sait depuis longtemps, il existe deux approches radicalement opposées de l’objectif d’un Moyen-Orient exempt d’armes de destruction massives (AMD).

      La première approche, suivie de manière persévérante et logique par les pays arabes et l’Iran, consiste à montrer du doigt Israël et considérer que “le seul pays de la région non partie au Traité de Non-Prolifération (TNP) doit y adhérer comme Etat non nucléaire, et tout le reste suivra.” En d’autres termes,  qu’Israël reconnaisse et abandonne sa capacité nucléaire et devienne partie aux conventions d’interdiction des armes biologiques et chimiques et les autres pays de la région qui n’y sont pas parties y souscriront, permettant ainsi à la paix et à la sécurité de s’instaurer. La seconde approche, défendue par Israël et dans une certaine mesure par les Etats-Unis, accorde la priorité à la création d’une situation de paix reposant sur la reconnaissance mutuelle et les négociations directes. Lorsqu’une confiance suffisante sera établie, selon cette conception, la possibilité d’interdire les AMD dans la région s’imposera.

      Ces deux options sont-elles conciliables, ou une troisième voie est-elle envisageable ? Il existe au moins une certitude : à l’instar de tout autre pays, Israël ne saurait bouleverser sa stratégie tant que des changements substantiels n’affecteront pas son environnement sécuritaire et ses perceptions de la menace. Le débat public sur la question nucléaire est limité en Israël, mais aucun gouvernement israélien ne pourrait modifier la politique actuelle sans un soutien massif de la société israélienne, y compris sous une forte pression américaine, laquelle est hautement improbable de toute façon. Certes, ainsi que l’a montré la récente décision historique de la Syrie d’adhérer à la Convention d’interdiction des armes chimiques, le Moyen-Orient n’est pas à l’abri de surprises stratégiques. Mais cette décision a résulté de circonstances spécifiques et de pressions russes sur la Syrie dans le cadre d’un accord entre Moscou et Washington. Une telle évolution est impensable dans le cas des ADM israéliennes, du moins à court terme.

      Compte tenu de la position israélienne, la communauté internationale doit-elle se résigner à attendre patiemment qu’un Moyen-Orient stable et pacifique émerge — Dieu sait quand — d’un accord de paix régional ou d’une série d’accords bilatéraux avant de tenter d’agir sur les ADM ? Certainement pas. La région et ses peuples souffrent trop et depuis trop longtemps d’un recours systématique à la force — militaire ou terroriste — comme moyen de résoudre les conflits. Il est vrai qu’aucun progrès sur la voie du désarmement dans la région ne peut sérieusement être espéré tant que certains Etats occupent le territoire d’autres peuples ou que certains refusent à d’autres Etats le droit à exister à l’intérieur de frontières sûres ou fondent leur politique étrangère sur des doctrines racistes ou antisémites. Mais même des  pays tels qu’Israël et l’Iran, qui n’entretiennent pas de relations diplomatiques, n’en participent pas moins déjà à des négociations dans des cadres multilatéraux et informels. L’Iran et les Etats-Unis utilisent désormais des canaux directs de communication et discutent de questions bilatérales et régionales telles que le programme nucléaire iranien.

      Pourquoi donc la communauté internationale n’essaierait-elle donc pas de favoriser des discussions directes dans le cadre d’une Conférence d’Helsinki orientée vers un accord futur de désarmement des ADM qui impliquerait forcément une reconnaissance mutuelle entre Israël d’un côté et l’Iran et les pays arabes de l’autre ? Après tout, c’est ce qu’Israël revendique depuis longtemps.

Une démarche par étapes

      Aucun acteur externe ne saurait forcer Israël à démanteler son arsenal nucléaire, mais la communauté internationale et la région pourraient fort bien créer les conditions nécessaires à l’apparition d’une telle évolution. Pour ce faire, une démarche par étapes est probablement la seule possible. Dans cette approche, il n’existe aucune séquence idéale, et certaines mesures pourraient être unilatérales, et d’autres négociées ou coordonnées avec des médiateurs externes.

      De telles mesures pourraient inclure la discussion et un “examen par les pairs” des doctrines de sécurité nationale et des armements au cours de réunions confidentielles et informelles ouvertes à des experts indépendants et des organisations non gouvernementales capables d’aider à dissiper des perceptions erronées ou exagérées et à instaurer plus de transparence dans un environnement stratégique plutôt opaque. A l’ordre du jour de telles réunions pourraient aussi figurer la discussion et la possible adoption de mesures de confiance et de sécurité sur la base de celles provisoirement agréées dans le cadre des pourparlers sur la Maîtrise des Armements et la Sécurité régionales (ACRS). Lors de ces négociations tenues au Moyen-Orient entre 1992 et 1995, par exemple, les participants sont convenus de mesures telles que des exercices de sauvetage en mer ou d’incidents maritimes, la notification préalable d’exercices militaires, des échanges d’informations militaires, un réseau régional de communications, ou la création de trois centres régionaux de sécurité. De telles mesures pourraient être complétées par des déclarations de non-emploi en premier et des mécanismes spéciaux de prévention des crises et de communication, y compris des « téléphones rouges », destinés à éviter des réactions disproportionnées à des incidents. 

      De telles discussions pourraient également explorer l’adhésion simultanée ou coordonnée des Etats concernés aux accords multilatéraux de maîtrise des armements et de désarmement sur les armes classiques, chimiques et biologiques ainsi que les missiles balistiques. Les Etats déjà parties à ces accords pourraient démontrer aux non-parties les bénéfices de l’appartenance à ces instruments en expliquant comment leur sécurité non seulement n’en a pas été amoindrie mais au contraire en a été renforcée. Les participants à ces pourparlers informels pourraient aussi négocier un régime de vérification destiné à surveiller les activités nucléaires des pays de la région, en s’inspirant peut-être du modèle de l’Agence pour l’interdiction des armes nucléaires en Amérique latine et les Caraïbes (OPANAL), qui pourrait entrer en vigueur dès lors qu’Israël adhèrerait à un traité de zone exempte d’ADM ou au TNP comme Etat non-nucléaire. En effet, l’expérience d’autres régions qui ont adopté des zones exemptes d’armes nucléaires devrait être précieuse pour le Moyen-Orient. Les organisations internationales telles que l’AIEA et l’Organisation pour l’interdiction des essais nucléaires pourraient également jouer un rôle utile en fournissant une assistance technique et une formation aux pays du Moyen-Orient.

Aide internationale, solutions locales

       Il va de soi qu’un grand nombre d’évolutions liées à cette question tant dans la région que dans le monde auraient un impact considérable sur le progrès vers un Moyen-Orient débarrassé des ADM. La première d’entre elles serait un accord global et définitif sur le programme nucléaire de l’Iran de nature à empêcher tout détournement de matière ou de technologie nucléaire vers des fins militaires, comprenant la ratification du Protocole additionnel de l’AIEA et complété par une gestion multinationale du combustible nucléaire  (banque de combustible) ainsi que des restrictions mutuellement agréées sur les capacités de missiles balistiques iraniennes. Des efforts drastiques de la communauté internationale, tout particulièrement des membres permanents du Conseil de sécurité de l’ONU, visant à favoriser des accords de paix dans la région, à commencer par le conflit israélo-palestinien et la guerre civile en Syrie, contribueraient évidemment à stabiliser la région et à faciliter la discussion de sa future architecture de sécurité. Et des progrès substantiels dans le désarmement nucléaire  des autres puissances nucléaires, à commencer par les Etats-Unis et la Russie, amélioreraient sans nul doute les perspectives d’une zone exempte d’ADM au Moyen-Orient.

      Ces perspectives seraient encore améliorées par l’entrée en vigueur du Traité d’interdiction des essais nucléaires  au moyen de la ratification des huit pays dotés de technologie nucléaire qui ne l’ont toujours pas signé ou ratifié, ou si la Conférence du Désarmement convenait de négocier un traité interdisant la production de matières fissiles à des fins militaires.

      Naturellement, cette démarche par étapes et à multiples facettes serait bien plus complexe et ambitieuse que la simple demande qu’Israël adhère au TNP. La suivre exigerait certainement davantage d’efforts, de courage politique, de temps, de ressources, et d’implication des acteurs externes au Moyen-Orient. Mais elle présente bien plus de chances de succès que la répétition d’anciennes positions qui n’ont mené qu’à une impasse. Seule une solution « gagnant-gagnant » offrant à chaque Etat de la région une sécurité non diminuée à des niveaux inférieurs d’armements serait à même de susciter le consensus. Les acteurs externes pourront certes apporter leur concours, mais les choix ultimes appartiennent aux peuples de la région et à leurs dirigeants.

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IDN-France

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