Conférence IDN au Sénat, « Armes nucléaires : quelles conséquences climatiques et humanitaires ? »


INTRODUCTION

Pierre Laurent
Sénateur (groupe CRCE)
• Vice-président du Sénat
• Vice-président de la commission affaires étrangères, de la défense et des forces armées
• Vice-président de la commission des affaires européennes

Sur la question des conséquences climatiques et environnementales des frappes nucléaires, Pierre Laurent estime qu’il est extrêmement important de poursuivre ce travail et de lui donner le maximum d’écho dans un des moments les plus périlleux pour la planète. Nous connaissons un climat de surarmement et une volonté flagrante de militariser les « espaces communs » tels que les océans, l’espace, ou encore le cyberespace. Nous sentons également une banalisation grandissante de l’arme nucléaire, qui prend la forme d’un discours expliquant que la dissuasion nucléaire demeure la meilleure solution face aux conflits. Ce point de vue doit être combattu afin de ne pas le laisser s’imposer dans le débat public. Par ailleurs, le G7 à Hiroshima a démontré que les dangers s’accumulent de tous les côtés, mettant en lumière la nécessité de résister avec beaucoup de force à ce risque de prolifération toujours plus présent. Nous devons poursuivre ce combat pour la paix, et consacrer l’intelligence humaine à bien d’autres sujets, dont l’urgence climatique. En France, le Parlement est actuellement engagé sur la Loi de programmation militaire (LPM), mettant malheureusement à l’ordre du jour les crédits de modernisation de la dissuasion. Nous estimons nous rapprocher d’un doublement du volume de ces derniers, une augmentation significative et très inquiétante. Ainsi, il s’agit d’une bataille de longue haleine.

Bernard Norlain
• Président d’IDN France
• Général 2S
• Ancien chef de cabinet militaire des Premiers ministres Jacques Chirac et Michel Rocard

La guerre en Ukraine démontre qu’une guerre nucléaire est possible et que le climat peut ainsi être bouleversé durablement par une explosion nucléaire, qu’elle soit volontaire ou non. Cette conférence sur les conséquences de l’arme nucléaire intervient au moment des débats autour de la LPM, qui orientera notre politique de défense pour des dizaines d’années. Faire de l’arme nucléaire la clé de voûte de notre politique de défense, nous engage dans une course aux armements nucléaires mondiale qui mènerait à une escalade particulièrement dangereuse. Il y a donc un enjeu de taille : mobiliser les parlementaires. En développant l’arme nucléaire, l’homme s’est donné la capacité de se détruire entièrement, l’humanité danse ainsi au bord du gouffre. Ces périls planétaires vont façonner le monde à venir, c’est pourquoi il est nécessaire que les dirigeants prennent conscience de leur responsabilité et que les solutions soient collectives.

 

I. L’hiver nucléaire 

Alan Robock
• Climatologue
• Professeur émérite à l’Université Rutgers dans le New Jersey
• Rédacteur en chef adjoint de Reviews of Geophysics

À la suite d’une explosion nucléaire, des nuages de fumée épaisse et noire créeraient un « hiver nucléaire » et le réchauffement de la stratosphère qui suivrait aurait des conséquences dramatiques pour la vie sur Terre. Après l’explosion du 6 août 1945 à Hiroshima, un énorme nuage de fumée généré par les vents de l’incendie, appelé pyrocumulonimbus, est monté dans le ciel japonais. Nous avons ainsi observé un changement climatique instantané : absolument tout autour avait été détruit. Trois jours plus tard, Nagasaki fut frappée avec « Fat Man », ce fut les seuls et uniques bombardements atomiques au monde.

Dans les années 1980, des travaux scientifiques ont démontré qu’il y aurait un changement climatique majeur si une guerre nucléaire venait à éclater. Depuis cinq ans, les chiffres autour de la bombe nucléaire ne descendent plus. Il y aurait ainsi 10 000 armes nucléaires dans le monde. Rappelons qu’aujourd’hui, neuf pays détiennent l’arme nucléaire dans le monde, les deux plus grands détenteurs étant les États-Unis et la Russie, qui possèdent plus de 5000 têtes nucléaires chacun, alors que les autres n’en ont que quelques centaines. Nous pouvons nous demander pourquoi chacun de ces neuf pays en possèdent quelques centaines si une seule arme est nécessaire pour tout détruire, et créer un hiver nucléaire ?

« Une telle guerre ne laisserait aucun vainqueur car la planète serait détruite« , disait Ronald Reagan, tandis que Mikhaïl Gorbatchev affirmait qu’une guerre nucléaire « ne serait bénéfique pour personne« .

Études de cas
• Que se passerait-il à la frontière indo-pakistanaise, en cas de guerre nucléaire ?
Au Kashmir, un hiver nucléaire refroidirait le climat instantanément, avec des températures jamais enregistrées dans l’histoire humaine. Par ailleurs, une guerre entre l’Inde et le Pakistan, qui sont actuellement dans une “mini course” à l’armement, pourrait faire autant de victimes que la Seconde Guerre mondiale.
• Que se passerait-il en cas de guerre russo-américaine ?
Si les États-Unis et la Russie entraient en guerre nucléaire, il y aurait plusieurs centaines de millions de morts. Dans le pire des scénarios, cette guerre engendrerait des températures similaires à celles de l’âge glaciaire pendant de nombreuses années (climat obscur, froid). Les températures mondiales descendraient bien en-dessous de 0 degrés. Parmi les autres conséquences directes : des molécules toxiques seraient présentes partout dans l’air, la terre ne serait plus fertile, l’eau serait polluée et les pluies deviendraient toxiques.

Alan Robock s’est particulièrement intéressé aux facteurs de température, de luminosité et de pluviosité, qui participeraient à une famine massive. Par exemple, les importations et exportations de maïs, de blé et de soja seraient totalement gelées. Les pays conserveraient leurs vivres, privilégiant la consommation nationale, et n’échangeraient plus. Toutefois, ces derniers possèderaient seulement 60 jours de stock. Ce scénario extrême permettrait aux plus riches d’avoir plus de nourriture tandis que les plus pauvres mourraient en premier. L’Australie semble être l’État le mieux préparé à ce genre d’éventualité, car elle est peu peuplée et se présente comme un bon exportateur de matières premières. En outre, une guerre nucléaire conduirait à des mouvements migratoires massifs qui provoqueraient à leurs tours d’autres problèmes importants. Aussi, les incendies au Canada de 2017 ont provoqué une fumée figée dans l’atmosphère, laissant alors imaginer un modèle avec beaucoup plus de fumée, liée aux explosions nucléaires.

En conclusion, l’arsenal nucléaire mondial actuel pourrait créer un hiver nucléaire qui exterminerait l’humanité toute entière. Il est donc essentiel de comprendre que c’est à nous de décider de notre futur, d’autant plus en sachant que notre destruction mutuelle ne pourrait tenir qu’à une décision infantile d’un dirigeant en colère.

 

II. Les conséquences humanitaires 

Julie Tenenbaum
• Conseillère Juridique Régionale pour l’Europe, pour le Comité International de la Croix Rouge (CICR)

Il est absolument nécessaire d’informer sur le risque accru de l’utilisation de l’arme nucléaire, notamment en recentrant le débat sur les questions liées aux conséquences humanitaires. Le mouvement de la Croix Rouge (CICR) est composé des différentes sociétés nationales et a montré son engagement historique depuis Hiroshima et Nagasaki. Aujourd’hui encore, la Croix rouge japonaise soigne des victimes de ces bombardements tragiques. À la suite de ces deux catastrophes, le CICR a appelé à l’abolition des armes nucléaires. Il y a également eu trois conférences intergouvernementales majeures sur l’impact humanitaire des armes nucléaires à Oslo, Nayarit et Vienne. L’exemple de Nagasaki montre qu’après l’utilisation d’une arme nucléaire, il y aura des centaines de milliers de morts immédiats, mais aussi des centaines de milliers de personnes à soigner sur le long terme, pour des cancers et autres maladies liées à l’exposition aux radiations.

« Il est de notre devoir de prévenir les catastrophes auxquelles nous ne pouvons pas nous préparer et que nous ne sommes pas en mesure d’affronter« , alertait la présidente du CICR, Mirjana Spoljaric.

De nos jours, une frappe nucléaire demeure incompatible avec le Droit international humanitaire (DIH) et il n’existe aucune aide humanitaire pouvant faire face à ce qu’elle engendrerait. Les conséquences sont multiples, parmi elles :
•  assistance aux vivants, à laquelle s’ajoute la question de la gestion des dépouilles qui présentent un risque important d’épidémies
•  déplacement de millions de personnes
• conséquences sur la population selon la zone touchée : réseaux routiers, production alimentaire…
Aucun gouvernement n’est capable d’apporter une aide humanitaire adéquate face à une telle urgence.

Tout le travail réalisé par les organisations du CICR comprend un dialogue bilatéral confidentiel ainsi que des activités liées à la jeunesse. Chacune d’entre elle a son mandat et sa spécificité, et c’est grâce à ces pressions réalisées à différents niveaux que nous tendons vers le même objectif. Il est essentiel de préciser que notre raisonnement et notre travail ne sont pas liés aux émotions, ils sont rationnels et concrets car les conséquences dont nous parlons sont largement mesurables. Alors que les citoyens ont été exclus des outils de défense depuis des années, il faudrait les préparer à l’éventualité d’un conflit nucléaire. La majorité de la population n’est pas assez consciente du danger que représente la dissuasion nucléaire. Nous sommes tous sensibles aux différentes conséquences, pourtant rien ne change. Voilà un raisonnement presque schizophrène. Face à cela, toutes les organisations oeuvrant pour le désarmement nucléaire doivent unir leurs efforts pour parler d’une seule voix. 

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Mathilda C.

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