TIAN : ce qui va changer

À partir du 22 janvier 2021, le Traité sur l’interdiction des armes nucléaires (TIAN), adopté en 2017 par 122 États membres de l’ONU et, à ce jour, signé par 86 pays dont 51 l’ont déjà ratifié, entre en vigueur. Que cela entraîne-t-il pour les pays qui seront liés par ses obligations et pour ceux qui le rejettent, à savoir les puissances nucléaires et leurs alliés ?

Une norme générale d’interdiction des armes nucléaires

Sont désormais interdits (« obligations négatives ») pour les États parties au TIAN (Art. 1er), s’agissant des armes nucléaires :

  • La mise au point,
  • Les essais (de toute sorte, non seulement explosifs)
  • La production,
  • La fabrication,
  • L’acquisition,
  • La possession,
  • Le stockage,
  • Le transfert ou l’acceptation du transfert,
  • L’emploi ou la menace d’emploi (donc la dissuasion nucléaire),
  • L’assistance, l’encouragement ou l’incitation, la demande ou l’acceptation d’assistance à toute activité interdite par le traité,
  • L’acceptation de l’implantation, l’installation ou le déploiement d’armes nucléaires sur son territoire.

En outre, chaque État partie a des obligations « positives » :

  • Des déclarations sur la possession passée ou actuelle d’armes nucléaires ou le déploiement sur son territoire d’armes nucléaires d’autres pays (2),
  • Le maintien au minimum des garanties actuelles (vérification du caractère pacifique des activités nucléaires par l’Agence internationale de l’énergie atomique – AIEA), sans préjudice de garanties renforcées ultérieures (3),
  • L’adoption de mesures nationales, législatives ou règlementaires, interdisant et pénalisant toute activité prohibée par le traité (y compris la contribution au développement et à la fabrication d’armes nucléaires par les États non parties) (5),
  • L’assistance aux victimes des armes nucléaires et la remise en état de l’environnement affecté par les armes nucléaires (emploi et essais) sans préjudice de la mise en responsabilité des États responsables de ces atteintes (6),
  • La coopération et l’assistance aux autres États parties dans la mise en œuvre du traité (7) et l’encouragement aux États non parties à adhérer au traité (Art. 12).

Ce qui change par rapport au Traité de non-prolifération (TNP)

Il n’y a plus de statut spécial pour les États possesseurs d’armes nucléaires, forme de veto qui a empêché jusqu’ici la moindre négociation multilatérale en vue du désarmement nucléaire et se trouve rejeté par la majorité de la communauté internationale. Certes, le TNP reste en vigueur et le TIAN s’y réfère même, mais il est désormais complété par le TIAN, qui va plus loin.

Les puissances nucléaires qui le décideraient pourraient choisir (4), selon leurs intérêts :

  • Soit de désarmer et d’adhérer au TIAN en faisant vérifier l’élimination de leurs armes nucléaires,
  • Soit adhérer au TIAN et présenter un plan de désarmement applicable dans un délai raisonnable (pour mémoire, les Etats-Unis, État partie à la Convention d’interdiction des armes chimiques depuis 1997, n’ont toujours pas achevé la destruction de leurs stocks).

Les États dotés d’armes nucléaires parties au TNP ne peuvent plus affirmer que leur droit de posséder voire d’employer des armes nucléaires est légitimement reconnu sans limite de temps. Le TNP, qui remonte à 1968, leur faisait obligation de « négocier de bonne foi » la « cessation de la course aux armements nucléaires à une date rapprochée et au désarmement nucléaire ». Or, cette course est plus effrénée que jamais et il reste 13 410 armes nucléaires soit à peine la moitié de l’arsenal existant en 1970, année de l’entrée en vigueur du TNP.

Contrairement aux autres accords sur les autres armes de destruction massive (biologiques et chimiques), le TNP n’interdisait pas totalement les armes nucléaires. Le TIAN vient combler cette lacune juridique. Même si les conventions sur les armes biologiques et chimiques ne sont pas universelles, personne n’ose aujourd’hui affirmer que ces armes sont légales ou légitimes pour les États non parties.

Les effets sur les États opposés au TIAN

Les puissances nucléaires et leurs alliés, qui ont boycotté les négociations du traité et refusent toute interdiction des armes nucléaires, affirment que le TIAN ne leur imposera aucune obligation, y compris la formation d’un éventuel droit coutumier. Qu’en est-il précisément ?

Il est vrai en principe que seuls les États parties à un traité sont soumis aux obligations de celui-ci.

Toutefois, certaines normes contenues ou rappelées dans le TIAN s’imposent déjà à tous les États, parties ou non au TIAN :

  • La Charte de l’ONU, qui interdit notamment tout recours à la force armée ( 2 § 4) et impose des conditions strictes au droit de légitime défense (Art. 51) telles que la nécessité en attendant une action du Conseil de sécurité et la proportionnalité de la riposte (impossible en cas de riposte nucléaire à une attaque non nucléaire) ;
  • Le droit international humanitaire, codifié notamment dans les Conventions de Genève, qui oblige, en cas de conflit armé, tout État à distinguer entre cibles militaires et civiles et à protéger les civils et l’environnement, à éviter les « maux superflus et souffrances inutiles », à appliquer les principes de précaution et de proportionnalité, etc., toutes obligations qui sont incompatibles avec l’emploi d’armes nucléaires, comme confirmé par la Cour internationale de Justice en 1996 ;
  • Les normes en matière de droits humains: selon le Comité des droits de l’Homme de l’ONU, « le recours ou la menace de recours à des armes de destruction massive, en particulier des armes nucléaires, qui frappent aveuglément et peuvent détruire la vie humaine à une échelle catastrophique, est incompatible avec le respect du droit à la vie et peut constituer un crime au regard du droit international. »

Il est vrai qu’en tant que l’une des sources du droit international, le droit coutumier, qui s’applique à tous les États, exige :

  • Un large soutien (cela prendra peut-être encore du temps, mais le nombre actuel d’États parties au TIAN a vocation à augmenter jusqu’à la centaine, ce qui représenterait un soutien substantiel),
  • Une pratique des États non parties qui soit conforme aux obligations du traité (opinio juris). L’opposition actuelle des puissances nucléaires et de leurs alliés exclut une telle pratique du moins pour la possession ou la menace d’emploi (dissuasion nucléaire), mais pas nécessairement pour l’emploi tant que celui-ci n’a pas lieu et que les puissances nucléaires continuent d’affirmer que leurs armes nucléaires ne sont pas destinées à être utilisées, seulement à dissuader.

Les effets indirects du TIAN sur les États opposés à celui-ci qui résulteront de la mise en œuvre du traité par ses États parties ne seront pas négligeables. Les mesures nationales que prendront les États parties conformément à l’Art. 5 empêcheront, vis-à-vis des pays possesseurs d’armes nucléaires :

  • Toute coopération, par exemple par des universités ou des entreprises, dans la recherche ou la production d’armes nucléaires,
  • Tout financement ou investissement, par exemple par des fonds de pension ou des banques, dans ces mêmes secteurs,
  • Toute facilité accordée, par exemple le transit du territoire ou l’accès aux ports et aéroports de navires ou avions transportant des armes nucléaires, etc.

On peut à cet égard se référer aux précédents de la Convention sur les mines antipersonnel et de la Convention sur les armes à sous-munitions : même dans les États non parties, la production et le transfert de ces armes ont quasiment disparu du fait du rétrécissement du marché.

En définitive, le résultat principal du TIAN sera de délégitimer et stigmatiser la possession des armes nucléaires à cause des risques de catastrophe humanitaire qu’elles font peser sur la planète. Même au sein des pays qui affirment vouloir maintenir ces armes pour assurer leur sécurité, l’opinion pourra s’appuyer sur une base juridique pour réclamer leur élimination.

Le TIAN, loin de constituer un obstacle ou une menace contre les autres instruments de non-prolifération et de désarmement, tels que les accords américano-russes, le TNP, le Traité d’interdiction complète des essais nucléaires, ou l’interdiction de la production de matières fissiles (FMCT) devrait encourager les pays hostiles au TIAN à appliquer ces accords ou en négocier de nouveaux dans le cadre de leur préférence pour une approche « étape par étape ». Leur priorité pour la non-prolifération devrait même être soutenue par une norme d’interdiction générale alors qu’affirmer que les armes nucléaires sont vitales pour la sécurité de leurs possesseurs et leurs alliés ne peut que les rendre attrayantes pour les pays se sentant menacés (tels que l’Iran ou la Corée du Nord).

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Marc Finaud

Marc Finaud

Marc Finaud est un ancien diplomate de carrière. Il travaille désormais comme formateur pour jeunes diplomates et officiers au sein du Centre de Politique de Sécurité de Genève (GCSP) dans tous les domaines de la sécurité internationale. Au cours de sa carrière diplomatique, il a été affecté à plusieurs postes bilatéraux (URSS, Pologne, Israël, Australie) ainsi qu’à des missions multilatérales (CSCE, Conférence du Désarmement, ONU). Il est titulaire de Masters en Droit international et en Sciences politiques. Il a aussi été Collaborateur scientifique de l’Institut des Nations unies pour la Recherche sur le Désarmement (UNIDIR) (Programme sur les Armes de destruction massive). Au sein d’IDN, il a la responsabilité d’assurer les relations internationales et diplomatiques de l’association. Il participe au Comité de rédaction.
Marc Finaud

Marc Finaud

Marc Finaud est un ancien diplomate de carrière. Il travaille désormais comme formateur pour jeunes diplomates et officiers au sein du Centre de Politique de Sécurité de Genève (GCSP) dans tous les domaines de la sécurité internationale. Au cours de sa carrière diplomatique, il a été affecté à plusieurs postes bilatéraux (URSS, Pologne, Israël, Australie) ainsi qu’à des missions multilatérales (CSCE, Conférence du Désarmement, ONU). Il est titulaire de Masters en Droit international et en Sciences politiques. Il a aussi été Collaborateur scientifique de l’Institut des Nations unies pour la Recherche sur le Désarmement (UNIDIR) (Programme sur les Armes de destruction massive). Au sein d’IDN, il a la responsabilité d’assurer les relations internationales et diplomatiques de l’association. Il participe au Comité de rédaction.

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