La difficile dénucléarisation de la péninsule coréenne

La paix en Corée est-elle possible ? C’est ce qu’ont promis les dirigeants des deux Corées, techniquement toujours en guerre, à l’issue d’un sommet intercoréen historique ce vendredi 27 avril. Selon leurs propres mots, « il n’y aura plus de guerre dans la péninsule coréenne ». A travers la déclaration de Panmunjom signée le 27 avril dans la zone démilitarisée entre les deux Corées, Kim Jong-un, le dirigeant de la République populaire démocratique de Corée, et Moon Jae-in, le président de la Corée du Sud, ont ouvert la porte à la négociation d’un régime de paix mettant fin à la Guerre de Corée (1950-1953), à une dénucléarisation de la péninsule coréenne et à une réflexion sur les familles séparées et sur des participations conjointes lors d’événements sportifs internationaux.

Six jours auparavant, samedi 21 avril, Kim Jong-un avait annoncé l’arrêt des essais nucléaires et des tirs de missiles balistiques intercontinentaux (ICBM) nord-coréen. La Corée du Nord a également promis, dans un objectif de transparence, le démantèlement du site de Punggye-ri où ont été effectuées toutes les explosions souterraines depuis octobre 2006. Elle s’est enfin engagée à participer aux efforts internationaux pour un désarmement nucléaire global. Alors, gestes spectaculaires ou effet d’annonce ?

Ces annonces, largement saluées par la communauté internationale, s’inscrivent dans une période de détente après une année 2017 où l’ombre de la guerre a plané sur la péninsule coréenne suite à une incroyable escalade des tensions entre Kim Jong-un et Donald Trump. Pyongyang avait alors enchainé les essais de missiles et effectué son sixième essai nucléaire quand Washington demandait le renforcement du régime des sanctions imposées par le Conseil de Sécurité de l’ONU. Trump promettait « le feu et la colère » à son homologue nord-coréen qui menaçait le territoire américain de Guam de ses missiles.

 Le changement a été amorcé par un discours nord-coréen du Nouvel an ouvrant au dialogue. Depuis, les rencontres symboliques ou informelles se sont multipliées : Kim Yo-jong la sœur de Kim Jong-un, a participé à la cérémonie d’ouverture des Jeux Olympiques d’hiver en Corée du Sud, le dirigeant nord-coréen aurait rencontré le directeur sortant de la CIA Mike Pompeo, à présent Secrétaire d’Etat, au début du mois d’avril, et une ligne de communication directe a été ouverte le 20 avril entre Moon Jae-in, président de la Corée du Sud, et Kim Jong-un. Enfin, un sommet intercoréen – le troisième de l’histoire seulement – s’est tenu ce vendredi 27 avril.

Pour autant, l’arrêt des essais nucléaires, comme la promesse de dénucléarisation de la péninsule, signifient-t-ils la dénucléarisation réelle de la Corée du Nord ? Rien n’est moins sûr. Il s’agit d’abord de rappeler que l’arme nucléaire est inscrite dans la Constitution nord-coréenne. Cette même Constitution énonce en son article 3 que l’Etat est guidé dans ses activités par l’idée de Juche et l’idée de Songun. Cette idéologie autocratique développée sous la présidence de Kim Il Sung prône le mouvement de la nation vers le ‘jaju’ (l’indépendance), à travers la construction du ‘jarip’ (économie nationale) et l’accent sur le ‘jawi’ (autodéfense), afin d’établir le socialisme. Elle repose donc sur trois axes : l’autonomie militaire, l’autosuffisance économique et l’indépendance politique. A partir de 1994, Kim Jong-il, fils de Kim Il Sung, complètera cette doctrine par la politique de Songun, qui donne la priorité à l’armée dans les affaires de l’Etat.

C’est en mobilisant ces idées que la Corée du Nord justifie depuis toujours son programme nucléaire. Cet arsenal a pour objectif l’auto-défense de l’Etat, et par conséquent son indépendance vis-à-vis d’une triple menace extérieure émanant de la Corée du Sud, des Etats-Unis et du Japon. Avec la chute de l’Union Soviétique, l’arme atomique va devenir un outil de stabilisation du pouvoir, et plus encore un moyen de survie du régime et de dissuasion vis-à-vis des Etats-Unis. La Corée du Nord va utiliser la « diplomatie du missile » comme un moyen de chantage, un levier de négociation pour garantir sa pérennité et obtenir une aide internationale vitale dans les domaines énergétique et alimentaire. L’arsenal de la Corée du Nord serait aujourd’hui composé de 10 à 16 armes, avec la possibilité d’en fabriquer 15 de plus d’ici trois ans.

Il paraît donc peu probable que la Corée du Nord renonce sans de très importantes contreparties à son programme nucléaire, auquel elle a tant sacrifié et qu’elle considère comme la seule garantie de survie de son régime. L’arrêt des essais nucléaires et des tirs de missiles ICBM n’est en réalité qu’une suspension. En ce sens, les inquiétudes du Japon sont légitimes quant à la question des missiles à portée intermédiaire. Le démantèlement du site de Punggye-ri ne garantit pas l’utilisation d’autres sites. Surtout, la Corée du Nord n’a pas annoncé la suspension de sa production de têtes nucléaires et de missiles balistiques, dont Kim Jong-un avait demandé la production en masse en janvier dernier.

Kim Jong-un a particulièrement insisté sur le fait que la Corée du Nord était devenue de facto une puissance nucléaire avec six tests en onze ans, et qu’elle n’hésiterait pas à utiliser la bombe atomique pour répliquer à une menace ou à une provocation nucléaire. Affirmant donc son statut de puissance nucléaire, l’impact de l’annonce du 21 avril de Pyongyang est à relativiser. Et, d’après les analyses d’une équipe de géologues chinois dont l’étude sera publiée le mois prochain dans un journal scientifique spécialisé, la Corée du Nord n’aurait eu d’autres choix que de fermer le site d’essais nucléaires de Punggye-ri : il se serait effondré et serait inutilisable.

Si l’on peut saluer la dynamique d’apaisement des tensions entre les deux Corées, le sommet du 27 avril ainsi que la déclaration intercoréenne qui en découle sont également à relativiser. Kim Jong-un et Moon Jae-in ont certes repris le destin de la péninsule coréenne en main, mais le chemin sera long avant la concrétisation des engagements. La déclaration de Panmunjom s’en tient d’abord à de grands objectifs. Aucun calendrier n’a été acté. Les dirigeants se sont engagés à une « dénucléarisation totale » et à un « désarmement par étapes » sans en préciser les détails. La dénucléarisation nord-coréenne n’est pas garantie par cette déclaration : la promesse d’une péninsule coréenne non-nucléaire est subordonnée à la fin de la protection nucléaire de la Corée du Sud par Washington. De plus, les plus sceptiques s’interrogeront sur la sincérité de Kim Jong-un : la paix et la dénucléarisation ont déjà fait l’objet de multiples engagements entre la Corée du Nord et la Corée du Sud depuis 2001.

Plusieurs éléments cependant amènent à reconnaître les avancées de ce sommet. Les deux Corées se sont engagées à éviter les incidents en mer Jaune, et le Sud a promis de cesser sa propagande par haut-parleurs dans la zone démilitarisée. La déclaration de Panmunjom encourage la mise en pratique des accords et engagements pris antérieurement, et appelle à un dialogue international, avec les États-Unis et la Chine pour la signature d’un Traité de Paix remplaçant l’armistice conclu entre le commandement de l’ONU, la Chine et la Corée du Nord en l’absence de toute représentation de la Corée du Sud.

Un second sommet à haut risque devrait se tenir au début du mois de juin entre Kim Jong-un et Donald Trump. Washington veut une dénucléarisation complète, vérifiable et irréversible du Nord alors que, selon le Sud, Pyongyang souhaite des garanties sur sa sécurité, un sujet de désaccords important. La Corée du Nord semble souhaiter à terme le retrait des troupes américaines de la péninsule coréenne et l’abrogation des accords de sécurité entre Washington et Séoul. Il est aussi à craindre qu’un Donald Trump peu au fait de la complexité du dossier fasse de fausses promesses à son homologue nord-coréen, dont le non-respect entraînerait la reprise du programme nucléaire nord-coréen. Il faudra notamment se mettre d’accord sur un calendrier de désarmement : Kim Jong-un propose un accord par étapes alors que les États-Unis veulent un résultat tangible dans la foulée du sommet, avec le démantèlement immédiat et vérifié d’ogives ou de missiles. Il s’agit aussi d’impliquer la Chine et la Corée du Sud dans les négociations.

Pour la réussite des négociations, les deux parties doivent faire des concessions à long terme. La Corée du Nord pourrait accepter de geler son programme nucléaire, ou autoriser les inspections de l’AIEA en échange de la levée des sanctions. Elle ne cèdera pas cependant sur une dénucléarisation unilatérale. Pyongyang n’acceptera son désarmement que si la dénucléarisation concerne l’ensemble de la péninsule coréenne. Reste à savoir si les États-Unis désirent négocier et sur quels points ils seraient prêts à céder, alors même que Donald Trump souhaite le renforcement de la pression sur Kim Jong-un.

Solène Vizier

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