La prorogation du traité New START : enjeux et perspectives

La Douma, chambre basse du Parlement russe, a ratifié une prolongation pour cinq ans du traité bilatéral New START le 27 janvier 2021. Signé le 8 avril 2010 par le président américain Barack Obama et son homologue russe Dimitri Medvedev, il est le principal verrou juridique existant pour contenir la course aux armements nucléaires entre les États-Unis et la Russie, mais il est également porteur d’espoir pour de nouvelles réductions de leurs arsenaux. Cette ratification marque le retour du dialogue diplomatique en matière de dissuasion nucléaire, après une période d’instabilité accrue pour l’équilibre stratégique entre Washington et Moscou.

Crédits photo : Courrier international.

Un accord ambitieux 

La prorogation de ce traité, héritier des traités de maitrise des arsenaux nucléaires (SALT, SORT, START), porte l’espoir d’une nouvelle dynamique de réduction des armes nucléaires au sein de ces deux puissances qui détiennent 91% de l’arsenal nucléaire mondial. Il reste un traité ambitieux eu égard aux objectifs (atteints) :

  • La transparence. Les dispositions concernant les vérifications et les inspections sont remarquables. Il autorise chaque partie à procéder à 18 inspections par an, et demande aux deux États de transmettre les données télémétriques pour tout mouvement de lanceur depuis ou vers leurs bases opérationnelles.
  • La réduction de l’arsenal nucléaire. Comme le rappelait Marc Finaud le 27 avril dernier, le traité « devait réduire de moitié pour chaque partie le nombre de lanceurs de missiles nucléaires stratégiques, et des deux tiers celui du nombre d’ogives nucléaires stratégiques déployées, plafonnées à 1 550 ». Il a donc participé de fait au processus de dénucléarisation du monde.
  • Une mise en œuvre respectée. La transparence soutenue par le traité a permis aux deux parties de constater la bonne mise en œuvre des dispositions relatives aux réductions des arsenaux. Ce constat qui peut sembler anodin de prime abord ne l’est pas car le Congrès américain et de nombreux think tanks d’obédience républicaine étaient prompts à soupçonner la Russie de violer l’accord.

L’impact des atermoiements de Donald Trump

La présidence de Donald Trump a été marquée par une opposition diamétrale à la politique étrangère de son prédécesseur Barack Obama. La lutte contre le terrorisme lancée par le président George W. Bush et reprise par Barack Obama est abandonnée par Donald Trump qui sacre à sa place l’objectif de compétition stratégique. La finalité première de sa politique étrangère est donc une great power competition qui, de facto, exclut toute initiative bilatérale ou multilatérale.

En ce sens, cette position nationaliste et fondamentalement nocive pour l’ordre international a abouti à l’abandon du compromis de Vienne (JCPOA) sur le nucléaire iranien le 8 mai 2018, et au retrait du traité INF le 2 août 2019. La prochaine victime semblait inévitablement être le traité New START.

Le président Trump rappelle sa menace de quitter ce traité seulement huit jours après son investiture, lorsqu’il appelle le 28 janvier 2017 son homologue russe Vladimir Poutine pour lui annoncer qu’il est formellement contre une prorogation traité New START. Signe d’une prééminence russe en matière nucléaire, il disqualifie le texte et ses dispositions. Il faudra attendre trois ans pour que l’administration Trump entame des pourparlers avec Moscou pour discuter d’une possible prolongation. Ceux-ci se faisaient sans une once de volonté de la part de l’ancien secrétaire d’État américain Mike Pompeo qui répétait à la presse que « le traité New START n’est pas une bonne affaire pour les États-Unis ».

Une des grandes demandes de l’ancien président américain pour envisager une prorogation du traité était d’inclure la Chine. Un accord trilatéral avec Pékin était en effet une condition subordonnée pour Donald Trump pour ainsi disposer d’un outil juridique pour contraindre l’arsenal nucléaire chinois (qui ne représente pourtant que 2,6% de l’arsenal nucléaire mondial).

Enjeux de la prorogation du traité

L’extension pour cinq ans du traité New START redynamise certes le débat sur le désarmement nucléaire, mais elle met également en lumière la sévérité des relations actuelles entre Moscou et Washington. En effet, la nouvelle porte-parole de la Maison-Blanche Jen Psaki rappelle que « Le président a toujours dit clairement que le traité New Start était dans l’intérêt de la sécurité nationale des États-Unis, et une telle extension est encore plus nécessaire quand les relations avec la Russie sont tendues comme maintenant ». Cette déclaration met en exergue deux points souvent évoqués par Donald Trump :

  • Le continuum du tropisme de la sécurité nationale américaine. Le traité New START représentait pour l’administration Trump un poids empêchant le développement de la défense américaine selon le poncif attribué au traité qui limiterait le développement des technologies militaires. Cependant, le président Biden prend le contre-pied à raison et reprend l’argument de la sécurité nationale pour justifier une extension du traité. En effet, ce traité permet tout d’abord une vérification et un droit de regard sur l’arsenal nucléaire adverse, et ainsi d’avoir un moyen de coercition efficace sur les prétentions nucléaires russes. In fine, la sécurité nationale américaine s’en trouve renforcée en raison d’une connaissance fine de l’arsenal nucléaire russe permise — et encouragée— par le traité New START.
  • La dégradation des relations russo-américaines. Les relations entre Moscou et Washington se sont fortement dégradées depuis la fin de l’année 2011. Le président Poutine impute aux puissances occidentales d’avoir fomenté les manifestations de grande ampleur qui prennent lieu lors de son élection en 2012. De plus, il garde une certaine amertume en raison des bombardements de la coalition occidentale en Libye. Depuis, les soupçons d’ingérences russes lors des élections présidentielles américaines ou encore les éventuels paiements de talibans effectués par le Kremlin pour assassiner des soldats américains démontrent la gravité de la situation. Cependant, le président Biden ne nie pas cette réalité, mais a proposé l’extension de New START pour, à juste titre, éviter une aggravation de la fragilité de l’équilibre stratégique actuel.

Quelle perspective pour les relations américano-russes ?

In fine, la signature de la prorogation du traité New START est une remarquable nouvelle pour l’espoir d’un ordre international stabilisé. Les turbulences de l’ère Trump ont marqué durablement la qualité des relations entre Moscou et Washington, mais le président Biden semble adopter une position ambivalente en ne niant pas la gravité de certaines actions commises par le président Poutine d’une part, tout en réengageant un dialogue diplomatique avec Moscou de l’autre. Cette prorogation est une excellente nouvelle pour l’objectif d’un monde militairement dénucléarisé, mais il porte également l’espoir d’une redynamisation du dialogue diplomatique entre ces deux États nucléaires. Du côté russe, le développement des nouvelles armes hypersoniques russes (Poséidon, Sarmat) doit être surveillé de près. Du côté américain, le président Biden gagnerait à discuter avec ses alliés de l’OTAN de mesures de limitation et de contrôle des arsenaux nucléaires européens. Enfin, élargir la table des négociations autour du désarmement nucléaire et inclure Paris, Londres et Pékin pourrait permettre la création d’un nouvel ordre mondial dénucléarisé et, en conséquence, pacifié.

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L’association Initiatives pour le Désarmement Nucléaire (IDN) a pour but d’œuvrer à l’élimination progressive et équilibrée des armes nucléaires de la planète, pour contribuer à l’édification d’un monde plus sûr.
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